(OPINION) Lettre à mon fils

TRIBUNE LIBRE. Pendant une journée habituelle, je ne pense pas à ta trisomie 21, jamais!… ou presque. Surtout, que chez toi, elle est peu apparente physiquement, tu n’as que 48% des cellules atteintes. Aujourd’hui par contre, j’y ai beaucoup pensé.

Ce matin, à la passe-partout, tu n’entends et n’écoutes pas les consignes du professeure, fidèle à toi-même. Ton déficit d’attention ne te permet pas d’avoir une attention prolongée. Tu suis le groupe et est toujours le dernier à exécuter la consigne malgré toi. Nous commençons la journée à l’extérieur, glissons dans la neige et grimpons dans les modules de jeux. Tu es monté dans une nouvelle glissade et la peur te paralyse. J’essaie de te rassurer en te disant que je vais t’attraper en bas. Un camarade qui attend depuis bien trop longtemps pour lui te pousse avidement. Tu glisses vite et atterri sur les fesses. Tu ne pleures pas, mais je suis fâchée et lui rappelle les règles de base. Nous rentrons dans l’école. Un jeu de mémoire nous attend sur une table. Ouff! Je me démène tant bien que mal à t’expliquer les règles pour la 20 ième fois, que tu ne comprends pas plus qu’à ta 1 ère fois, il y a 2 ans. Nous mangeons ensuite la collation sur l’air d’une musique douce, en tête-à- tête, comme au restaurant. La professeure distribue des cartons-questions aux parents; questions à laquelle les enfants doivent répondre. Je les lis une par une et constate pertinemment que tu ne comprendras aucune de ces questions. Je regarde autour de moi les interactions parents/enfants et je suis triste. Triste de constater que tous y participent avec aisance et plaisir, sans aucune résistance, ni répétition. Ça a l’air si facile! On est loin de notre réalité. Je tente quand même le coup et te pose une question pour qui je semble parler portugais. Je finis par répondre à ta place, déçue. Tu te mets soudainement à pleurer à chaudes larmes. J’ai envie de te prendre dans mes bras et de pleurer avec toi toutes les larmes de mon corps, même si je connais la raison de cette peine qui ne devrait pas ébranler autant mes émotions. T’es un petit bonhomme sensible et les musiques douces toi, ça te rend triste. Tu réclames ton toutou fétiche, que nous n’avons malheureusement pas apporté. J’ai de la peine de te voir si sensible, car si une chanson te fait pleurer, je n’imagine pas tout ce qui pourrait te blesser et ça sa me terrifie. L’avant-midi se termine, c’est l’heure de retourner à la maison. Des élèves plus vieux attendent leur professeure dans le même couloir que le nôtre. Tu t’habilles en me regardant avec tes grands yeux naïfs. Tu me dis que tes fesses te piquent et mets ta main dans tes pantalons pour te gratter. Misère!! Mes réprimandes sont inefficaces, tu continues ton grattage devant ton publique plus vieux. J’entends une jeune fille dire à une autre : « ark, il a mis sa main dans ses bobettes pour se gratter » et moi je ne dis rien. Pas parce que je ne suis pas fâchée par ce commentaire, mais parce que je ne trouve pas de mots pour lui expliquer ton geste, ta différence. Je m’en veux et j’y repense jusqu’à la maison. Oui j’aurais pu lui apprendre à développer son ouverture d’esprit, sa compassion, son empathie et son respect face à une personne qui n’est pas née dans un moule standard. Ah si j’avais trouvé les mots justes. Promis, la prochaine fois, je parle! Nous arrivons à la maison. Dans toute ta candeur tu demandes à ta grand-mère : «  y aller balancer avec moi en bas? ». Et la routine reprend. Tu es au sous-sol avec ta grand-mère, tu te balances, en chantant tes chansons préférées, sans te soucier de ta matinée médiocre, parce que toi, tu as eu bien du plaisir à la passe-partout. Moi, je continue de me poser toutes ces questions sur ton avenir, tentant de me convaincre que tout ira pour le mieux. Je t’aime mon fils.   Valérie Gervais Saint-Barnabé- Nord