Protection de l’enfance: la Cour suprême donne la pleine autonomie aux Autochtones

L’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador (APNQL) estime que la décision rendue vendredi par la Cour suprême en matière de protection de l’enfance ouvre la porte à la pleine autonomie autochtone dans «tous les domaines qui affectent leur quotidien», selon son chef Ghislain Picard. 

La Cour suprême a donné raison, vendredi, à Ottawa sur toute la ligne, accordant ainsi la pleine autonomie aux Premières Nations, Inuits et Métis en matière de protection de l’enfance.

Dans une décision unanime, le plus haut tribunal se trouve non seulement à confirmer la validité de la Loi concernant les enfants, les jeunes et les familles des Premières Nations, des Inuits et des Métis dans sa totalité, mais aussi à effacer les gains partiels obtenus par Québec en Cour d’appel.

Réagissant à cette décision, Ghislain Picard a dit espérer maintenant que Québec comprenne le message et accepte de s’asseoir rapidement avec les leaders autochtones pour participer à l’élaboration des mesures visant à permettre aux gouvernements autochtones d’exercer leur pleine compétence en matière de protection de l’enfance.

«Nous n’avons jamais cédé nos droits»

«Suivant le jugement rendu ce matin, le gouvernement du Québec doit cesser de nier la légitimité de nos gouvernements», a-t-il affirmé, rappelant que «nous n’avons jamais cédé nos droits ou délégué à quelque gouvernement que ce soit, l’exercice de ces derniers, et encore moins la prise en charge de nos enfants».

À ses côtés, Jean-Claude Mequish, le chef du Conseil des Atikamekw d’Opitciwan, était «très ému». Opitciwan est la seule communauté au Québec à avoir adopté ses propres mesures législatives pour la prise en charge de la protection des enfants et de la famille, en 2022. «Depuis ce moment, on a rencontré beaucoup d’embûches, beaucoup de difficulté à mettre en oeuvre notre loi», a-t-il raconté, pointant du doigt l’absence du gouvernement du Québec à la table. Le chef Mequish était accompagné d’une importante délégation de sa communauté, dont plusieurs enfants qui étaient assis par terre devant la tables des chefs.

D’autres réactions sont venues de nombreux regroupements autochtones, affirmant tous qu’ils sont les mieux placés pour déterminer ce qui est bon pour leurs enfants. Le président de la Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Derek Montour, a bien résumé le sentiment général, affirmant que «les gouvernements colonisateurs ont longtemps agi comme s’ils savaient mieux que nous-mêmes ce qui est bon pour nous». 

«Valide dans son ensemble»

«La Loi est dans son ensemble valide sur le plan constitutionnel», peut-on lire dans l’introduction de la décision de 110 pages du plus haut tribunal.

«L’enjeu essentiel auquel s’attaque la Loi consiste à protéger le bien‑être des enfants, des jeunes et des familles autochtones en favorisant la fourniture de services à l’enfance et à la famille culturellement adaptés et, ce faisant, à favoriser le processus de réconciliation avec les peuples autochtones. Elle relève nettement du pouvoir de légiférer du Parlement (fédéral) en vertu du paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867 sur ‘les Indiens et les terres réservées pour les Indiens’.»

De passage à King City en Ontario pour une annonce en santé, le premier ministre Justin Trudeau a qualifié la décision «d’extrêmement importante pour la réconciliation parce qu’elle permettra aux communautés autochtones d’avoir les soins pour leurs enfants à risque. Pendant trop longtemps, des enfants à risque ont été enlevés de leur communauté, envoyés loin de leur langue, loin de leur culture et cela a eu des échos et des impacts sur des décennies de perte d’identité et de culture».

Loi similaire en santé?

À Ottawa, les ministres des Services aux Autochtones et des Relations Couronne-Autochtones, Patty Hajdu et Gary Anandasangaree, ont parlé d’une percée historique. Mme Hajdu a parlé d’un «appel au clairon à toutes les provinces et territoires pour qu’ils deviennent des partenaires de la réconciliation. C’est maintenant la loi.»

Elle a endossé avec enthousiasme les propos du chef de l’APNQL sur un éventuel élargissement de cette autonomie, allant jusqu’à promettre une loi similaire dans le domaine de la santé dans les prochains mois. «Je suis d’accord avec le chef Picard. Cette loi est très importante pour l’autodétermination, pour tous les Autochtones dans le pays et pour beaucoup de sujets qui touchaient la vie des peuples autochtones», a-t-elle dit.

Québec «prend acte» 

À Québec, le cabinet du ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, a dit prendre acte du jugement, rappelant que «notre désaccord a toujours été avec le gouvernement fédéral, et non pas avec les Premières Nations et les Inuit». 

Se disant «d’accord avec l’objectif de favoriser l’exercice, par les Premières Nations et les Inuit, d’une plus grande autonomie en matière de protection de la jeunesse», «en harmonie avec le régime québécois», le communiqué du cabinet précise néanmoins que l’on continuera à analyser la décision, compte tenu de ses «importantes répercussions (…) sur la question de la protection des enfants vulnérables et de la gouvernance autochtone».

Il lance également un rappel à l’effet que «le gouvernement fédéral se doit de travailler avec le Québec plutôt que d’agir unilatéralement».

Gains partiels du Québec effacés 

Dans la loi adoptée en 2019, le gouvernement Trudeau accordait la pleine autonomie aux Premiers Peuples en matière de protection de l’enfance. Québec avait contesté cette loi, faisant valoir qu’Ottawa empiétait sur sa juridiction exclusive en matière de protection de l’enfance.

Tout comme la Cour suprême, la Cour d’appel avait tranché que la loi fédérale était constitutionnelle, mais avait malgrétout conclu que deux articles de la loi ne l’étaient pas. Selon elle, Ottawa ne pouvait pas donner à un texte législatif autochtone la même prépondérance qu’une loi fédérale sans modifier «de façon significative l’architecture constitutionnelle canadienne». De la même façon, le tribunal avait rejeté la provision de la loi fédérale voulant que les textes législatifs autochtones en matière de protection de l’enfance «l’emportent» sur les lois provinciales.

La Cour suprême confirme au contraire qu’Ottawa a tout à fait le droit d’agir de la sorte à l’intérieur des limites actuelles de la constitution canadienne.

L’«Architecture constitutionnelle» intacte

Le banc de neuf juges affirme qu’«établir des normes nationales et faciliter la mise en œuvre des textes législatifs d’un groupe, d’une collectivité ou d’un peuple autochtones sont autant de mesures qui relèvent des pouvoirs du Parlement en vertu du par. 91(24). La Loi ne modifie pas l’architecture constitutionnelle du Canada.»

Cela dit, les juges précisent tout de même que «le Parlement ne peut, par l’adoption d’une simple loi, amender la Constitution, y compris (…) le partage des compétences établi par la Loi constitutionnelle de 1867». 

Quant à la question de la prépondérance d’une loi autochtone sur une loi provinciale, celle-ci ne s’applique qu’en cas de conflit entre les deux et la Cour suprême précise que ce sera à un tribunal de déterminer si conflit il y a.