Ortis, ex-responsable du renseignement à la GRC, a été reconnu coupable

OTTAWA — Cameron Jay Ortis, un ancien responsable du renseignement à la Gendarmerie royale du Canada (GRC), a été reconnu coupable par un jury d’avoir enfreint la Loi sur la protection de l’information.

Dans un verdict prononcé mercredi, à Ottawa, les jurés ont déclaré Ortis coupable de trois chefs d’accusation de violation de la Loi sur la protection de l’information et d’un chef d’accusation de tentative pour le faire. Ils l’ont également reconnu coupable d’abus de confiance et d’utilisation frauduleuse d’un ordinateur.

À l’ouverture du procès, le mois dernier, Ortis, âgé de 51 ans, avait plaidé non coupable de toutes les accusations, notamment d’avoir violé la Loi sur la protection de l’information en révélant des renseignements secrets à trois personnes, en 2015, et en tentant de le faire dans un quatrième cas. 

Ortis a soutenu au procès qu’il avait offert du matériel secret à des gens qui étaient la cible d’enquêtes de la GRC, dans le but de les inciter à utiliser un service de cryptage en ligne mis en place par une agence de renseignement alliée pour espionner les adversaires.

Mais la Couronne a plaidé de son côté qu’Ortis n’avait pas le pouvoir de divulguer des documents secrets et qu’il ne le faisait pas dans le cadre d’une opération d’infiltration autorisée par la GRC.

Ortis risque une lourde peine de prison. En attendant, le juge Robert Maranger a annoncé mercredi que la caution d’Ortis serait révoquée.

Sabotage ou opération d’infiltration ?

La défense a soutenu que l’ex-agent responsable du renseignement à la GRC n’avait pas trahi le Canada, mais qu’il agissait plutôt sur la base d’une «menace claire et grave».

Ortis avait dirigé le groupe de recherche opérationnelle de la GRC, qui a rassemblé et développé des informations secrètes sur les cybercriminels, les cellules terroristes et les réseaux criminels transnationaux.

Il a déclaré au jury qu’en septembre 2014, il avait été contacté par un homologue d’une agence étrangère qui l’avait informé d’une menace particulièrement grave.

Ortis a soutenu que son homologue l’avait informé en toute confidentialité d’un service de cryptage en ligne, appelé «Tutanota», qui avait été secrètement mis en place pour surveiller les communications dignes d’intérêt pour les services de renseignement.

Ortis a déclaré qu’il avait ensuite discrètement conçu un plan, baptisé «Nudge», pour inciter les cibles d’enquête de la GRC à s’inscrire au service de cryptage, en utilisant comme appât les promesses de documents secrets.

«Cameron Ortis n’était pas et n’est pas un ennemi de la GRC ou des citoyens du Canada», a plaidé l’avocat de la défense, Jon Doody.

La société de cryptage en ligne, aujourd’hui connue sous le nom de «Tuta», nie avoir des liens avec les agences de renseignement.

Bien qu’Ortis ait demandé des milliers de dollars à une cible avant d’envoyer des versions complètes de documents sensibles, rien ne prouve qu’il ait effectivement reçu de l’argent des gens qu’il a contactés.

«Y avait-il un but lucratif ? Peut-être, a déclaré la procureure Judy Kliewer. Ce n’est pas quelque chose que la Couronne doit prouver.»

Mémoire sélective

Malgré cela, la poursuite a dépeint Ortis comme un homme égoïste et imprudent, bafouant les règles et les protocoles lors d’une mission en solo qui a saboté la sécurité nationale et a même mis en danger la vie d’un véritable officier infiltré, selon la Couronne.

La poursuite, qui a appelé à la barre plusieurs employés actuels et anciens de la GRC, a soutenu que personne d’autre qu’Ortis n’avait entendu parler de l’opération «Nudge» et qu’aucun dossier du projet n’avait pu être retracé.

Me Kliewer a décrit Ortis comme un témoin évasif doté d’une mémoire sélective, affirmant aux jurés qu’il «ne pouvait tout simplement pas être cru».

Ortis avait été placé en détention en septembre 2019. Le processus menant à son arrestation avait débuté l’année précédente, lorsque la GRC a analysé le contenu d’un ordinateur portable appartenant à Vincent Ramos, directeur général de la société Phantom Secure Communications, qui avait été appréhendé aux États-Unis.

Une enquête de la GRC connue sous le nom de «Projet Saturation» a révélé que des membres d’organisations criminelles utilisaient les appareils de communication cryptés de cette société Phantom Secure.

Ramos plaidera plus tard coupable d’avoir utilisé ses appareils Phantom Secure pour faciliter la distribution de cocaïne et d’autres drogues illicites vers des pays dont le Canada.

Un enquêteur à la retraite de la GRC a déclaré au procès qu’il avait trouvé un courriel adressé à Ramos provenant d’un expéditeur inconnu et contenant des parties de plusieurs documents, y compris la mention de documents provenant de l’agence fédérale de lutte contre le blanchiment d’argent, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada.

L’expéditeur en question proposait de fournir à Ramos les documents complets en échange de 20 000 $.

Ortis a reconnu devant le tribunal qu’il était à l’origine des communications avec Ramos et d’autres personnes, mais il a soutenu que tout cela faisait partie de l’opération clandestine impliquant «Tutanota».

Une enquête internationale

Un exposé conjoint des faits dans cette affaire indique que les informations envoyées anonymement à Ramos, à Salim Henareh et à Muhammad Ashraf — ainsi que les documents destinés à Farzam Mehdizadeh — étaient des «renseignements opérationnels spéciaux» au sens de la Loi sur la protection de l’information.

Ce long exposé conjoint des faits indique notamment que depuis au moins 2014, la GRC et plusieurs corps policiers et agences de renseignement des alliés proches du Canada enquêtaient sur les activités de blanchiment d’argent menées par diverses entités associées à Altaf Khanani, propriétaire d’une entreprise de services monétaires basée à Dubaï.

Salim Henareh et ses sociétés Persepolis International et Rosco Trading, Muhammad Ashraf et sa société Finmark Financial, ainsi que Farzam Mehdizadeh et sa société Aria Exchange étaient visés par cette enquête internationale au Canada.

En liant Ortis aux divulgations d’informations, la Couronne a expliqué au jury le contenu de documents contenus sur une clé USB saisie lors d’une perquisition au domicile d’Ortis, au centre-ville d’Ottawa, lors de son arrestation.

Dans son témoignage, l’ancien responsable du renseignement a globalement minimisé le caractère sensible des informations qu’il partageait avec des cibles d’enquête.

Mais la procureure Kliewer a brossé un portrait beaucoup plus accablant, affirmant que la divulgation de ces documents pourrait permettre à des cibles d’échapper aux efforts des forces de l’ordre et contrecarrer les progrès de la police contre les réseaux criminels.