Les recommandations pour la réconciliation «ne seront pas en place avant 2081»

OTTAWA — Le Canada a été si lent à mettre en œuvre les recommandations formulées il y a huit ans par la Commission de vérité et réconciliation qu’un groupe de réflexion dirigé par des Autochtones a décidé de cesser de publier un rapport annuel sur les progrès réalisés.

«Au début, le projet suscitait l’espoir et la détermination: on croyait que si la population canadienne était au courant de l’inaction de son gouvernement, alors les choses changeraient peut-être», lit-on dans le rapport annuel de l’Institut Yellowhead, un centre de recherche et d’éducation à l’Université métropolitaine de Toronto.

«Mais comme l’ont peut-être remarqué ceux qui nous ont suivis dans ce périple, cet espoir a commencé à diminuer au cours de la cinquième année du projet.»

La Commission de vérité et réconciliation du Canada a passé des années à enquêter et à documenter l’histoire et les préjudices à long terme des pensionnats gérés par l’Église et financés par le gouvernement fédéral. Plus de 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter ces établissements, souvent très loin de leur famille et de leur communauté.

Des milliers de jeunes ont subi des agressions psychologiques, physiques et sexuelles. Le Centre national pour la vérité et la réconciliation, établi à Winnipeg, estime que plus de 4000 enfants autochtones sont morts dans ces pensionnats.

La Commission de vérité et réconciliation du Canada a lancé 94 «appels à l’action» dans son rapport de 2015, avec des recommandations à l’intention de tous les ordres de gouvernement et d’autres institutions, y compris le monde universitaire et les médias.

Le rapport 2023 du «Yellowhead Institute», publié mercredi, révèle qu’aucun nouvel appel à l’action n’a été mis en oeuvre au cours de cette année. L’institut de recherche affirme que si le Canada continue à ce rythme, il ne s’acquittera pas de sa tâche avant l’an 2081 — soit 16 ans de plus que l’estimation de l’an dernier.

Le rapport indique qu’«il y a des limites au nombre de fois où l’on peut rédiger un rapport sur la façon dont le Canada, une fois de plus, n’a pas réussi à faire de progrès significatifs».

Le «Yellowhead Institute» considère que seulement 13 des recommandations ont été complètement mises en oeuvre depuis 2015.

Ottawa, partenaire «intransigeant»

L’institut affirme qu’il ne sait plus très bien comment contraindre le gouvernement fédéral à répondre aux appels à l’action, affirmant qu’Ottawa a été un partenaire réticent jusqu’ici.

La ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, le ministre des Relations Couronne-Autochtones, Gary Anandasangaree, et le ministre des Affaires du Nord, Dan Vandal, n’étaient pas immédiatement disponibles mercredi pour commenter le rapport.

Mais en septembre dernier, le bureau de Mme Hajdu avait souligné des progrès en matière d’appels à l’action cette année, comme l’annonce en juin du choix d’un site pour le futur «Monument national sur les pensionnats autochtones», qui sera érigé sur la colline du Parlement.

Tous les appels à l’action ne relèvent pas uniquement de la responsabilité du gouvernement fédéral, comme les excuses du pape François présentées en juillet 2022. Le premier ministre Justin Trudeau avait personnellement demandé au pape de présenter des excuses en sol canadien, et le gouvernement fédéral a dépensé au moins 55 millions $ pour la visite de François au Canada.

Mais l’Institut Yellowhead considère que même cet appel à l’action n’est pas parfaitement rempli: dans son rapport de l’année dernière, le centre soulignait que les excuses du pape comportaient des lacunes, notamment en ne faisant aucune mention des agressions sexuelles.

Le rapport indique qu’il existe cinq principaux défis à la réconciliation: le paternalisme, la discrimination structurelle contre les Autochtones, la réconciliation comme «exploitation» ou «performance», les ressources insuffisantes et les intérêts économiques, ainsi que l’apathie des allochtones.

Tout en affirmant qu’aucun des appels à l’action n’a été mené à bien en 2023, le rapport souligne des victoires juridiques importantes pour les Premières Nations. On cite par exemple le règlement historique de 43 milliards $ en matière de protection de l’enfance, et un règlement de 10 milliards $ conclu avec 21 communautés autochtones de l’Ontario pour honorer la promesse d’un traité qui remonte à 1850.

«Lorsqu’il y a une action concrète, elle ne vient pas du Canada (…) mais des Autochtones eux-mêmes, qui se défendent farouchement et résistent à tout le poids de l’intransigeance canadienne», soutient l’institut Yellowhead.