Les libéraux fédéraux misent sur les influenceurs pour rejoindre les plus jeunes

OTTAWA — Dennis Mathu et Stephanie Gordon ont commencé à publier des vidéos de conseils financiers sur YouTube il y a trois ans, une occupation secondaire qui leur a permis de répondre à un besoin créatif.

Ils n’auraient jamais imaginé que cela les mènerait dans certains des couloirs politiques les plus puissants du Canada.

Steph & Den, comme on les appelle en ligne, faisaient partie des nombreux créateurs de contenu invités au huis clos du budget fédéral de mardi, où ils ont eu un accès privilégié au nouveau plan de dépenses d’Ottawa.

Il s’agit d’une invitation généralement réservée aux experts, aux parties prenantes et aux grands médias. Mais les libéraux fédéraux font appel aux influenceurs alors qu’ils cherchent à reconquérir les millénariaux désillusionnés, les électeurs de la génération Z et tous ceux qui consomment de l’information par l’entremise des réseaux sociaux.

«Ils voient que nous rassemblons ce public et ils veulent en tirer parti», estime Stephanie Gordon, 27 ans.

Steph & Den a un public cible de 18 à 34 ans et 750 000 abonnés sur plusieurs plateformes. Cela inclut TikTok, la plateforme de vidéos qui a été interdite sur les appareils du gouvernement fédéral sous le premier ministre Justin Trudeau pour des raisons de confidentialité et de cybersécurité.

«Ils se rendent compte que beaucoup de jeunes ne regardent plus les informations. Ils ne consomment pas les médias traditionnels», affirme Reni Odetoyinbo, 27 ans, invitée à assister aux deux derniers budgets fédéraux par le cabinet de la ministre des Finances.

«Surtout pour les gens de mon âge. C’est leur principale source d’information», ajoute-t-elle.

Rejoindre les Canadiens où ils sont

Ni le cabinet de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, ni celui du premier ministre n’étaient disposés à répondre aux questions sur cette stratégie.

Ils ont toutefois indiqué que les influenceurs ne sont pas payés lorsqu’ils sont invités à des événements gouvernementaux, notamment des annonces de logement à Toronto dans les semaines précédant le budget.

Il s’agit de communiquer avec les Canadiens là où ils se trouvent, a expliqué Mohammad Hussain, porte-parole du premier ministre Justin Trudeau.

«Les Canadiens consomment de plus en plus de contenu numérique, a-t-il évoqué dans une déclaration. À mesure que le paysage médiatique s’agrandit, notre approche de la manière dont nous communiquons évolue également.»

Lorsque le budget est arrivé mardi, Danica Nelson, 33 ans, a documenté la journée sur son compte Instagram. Elle a 24 000 abonnés avec un public cible âgé de 25 à 45 ans.

Elle et les six autres créateurs de contenu financier ont examiné le budget avant son dépôt à la Chambre des communes.

Ils ont également rencontré plusieurs ministres, dont le ministre du Logement Sean Fraser, la ministre de la Jeunesse Marci Ien et Mme Freeland, où ils ont pu poser des questions.

«Ce que j’ai apprécié dans cette conversation, c’est qu’ils voulaient vraiment s’assurer que nous (en tant que millénariaux et de la génération Z) nous y reconnaissions, et si ce n’était pas le cas, ils voulaient creuser davantage», a écrit Mme Nelson sur Instagram, accompagné de photos et de vidéos prises dans les coulisses.

Il s’agissait d’un accès politique plus important que ce que les grands médias ont reçu ce jour-là.

Au fur et à mesure qu’ils passeront les prochains jours à examiner le budget, les créateurs développeront du contenu autour de celui-ci, en se concentrant sur des sujets d’intérêt et en répondant aux questions des abonnés.

«Il est si facile dans le monde en ligne de voir les gros titres et les informations de haut niveau sans savoir réellement comment cela s’applique à vous», affirme Mme Gordon.

«Cela crée presque une certaine angoisse chez les gens, parce qu’ils se demandent: ‘‘Quelles sont les informations réelles que j’ai besoin de connaître?’’ C’est l’élément qui doit être communiqué plus clairement aux gens.»

Une pratique courante

Le gouvernement canadien n’est pas seul. Depuis des années, la Maison-Blanche informe les influenceurs sur des sujets tels que l’invasion russe de l’Ukraine et les invite à des événements comme le discours sur l’état de l’Union.

Et lorsque le président américain Joe Biden s’est rendu à Ottawa l’année dernière, YouTube a aidé à mettre en contact la première dame Jill Biden et Sophie Grégoire Trudeau avec «The Sorry Girls» pour une entrevue sur le design. L’entrevue qui en a résulté a été téléchargée sur la page YouTube de «The Sorry Girls», qui compte plus de 2,2 millions d’abonnés.

Il est courant que l’entreprise technologique facilite les présentations entre les gouvernements et les créateurs de contenu, a déclaré YouTube. Le budget fédéral de l’année dernière en est un exemple, lorsque le bureau de Mme Freeland a demandé à l’entreprise de la mettre en contact avec des créateurs de contenu canadiens qui se concentrent sur l’argent.

C’est ainsi que Reni Odetoyinbo a été invitée au budget de l’année dernière, où elle a finalement réalisé environ six vidéos présentant le document à ses 150 000 abonnés sur les réseaux sociaux.

«Je pense que c’est un très bon effort de la part du gouvernement pour atteindre les gens dans une langue qu’ils comprennent», affirme-t-elle.

Et bien que leurs abonnés admettent qu’ils ne lisent ni ne regardent les informations traditionnelles, les créateurs de contenu affirment qu’ils ont toujours soif de savoir ce qui se passe, à condition que cela se fasse par le biais des réseaux sociaux.

«Traditionnellement, c’est l’une des choses que les gens ont tendance à traiter avec légèreté, croit Dennis Mathu, 28 ans. Mais je pense que c’est une de ces choses qui va devenir de plus en plus une norme.»