Le gouvernement Trudeau gèlera l’augmentation des seuils d’immigration en 2026

OTTAWA — Le gouvernement fédéral entend geler ses cibles d’immigration une fois que son objectif de 500 000 nouveaux résidents permanents accueillis par année sera atteint, dans deux ans.

«Ce n’est pas de plafonner, c’est de stabiliser», a insisté mercredi le ministre de l’Immigration, Marc Miller, lors d’une conférence de presse qui suivait le dépôt de son Plan des niveaux d’immigration pour 2024-2026.

Plus précisément, la cible de 485 000 nouveaux résidents permanents en 2024 demeure, de même que celle de 500 000 en 2025. Le gel entrera donc en vigueur en 2026.

Le gouvernement souhaite répondre aux enjeux de pénurie de main-d’œuvre et du vieillissement de la population, mais aussi aux pressions que l’immigration exerce sur l’offre de logements et les soins de santé.

«Trop souvent, on regarde les immigrants en se disant: “Eux, ils ont besoin d’un logement, eux, ils vont être en stress sur le système de santé”, mais parfois c’est l’inverse en ce qui a trait aux gens qui vont bâtir les logements, (et ceux) qui travaillent (en) santé», a voulu nuancer M. Miller.

Dans de grandes orientations présentées la veille, il s’est engagé à ce que son ministère favorise l’immigration de ces travailleurs «qui peuvent aider à atténuer les pressions sociales dans des domaines clés». Il a aussi promis de faciliter, en collaboration avec les provinces et autres intervenants impliqués, la reconnaissance des titres de compétence obtenus à l’étranger.

Questionné à de multiples reprises sur le choix de commencer le gel à 500 000 en 2026 plutôt qu’avant, M. Miller a plaidé qu’il doute que les journalistes trouveront quiconque étant d’avis «qu’un 5000 de plus, un 10 000 de plus, ça aurait fait la différence», mentionnant aussi le chiffre de «15 000».

Entre les niveaux maintenus de 2024 et 2025, il y a un écart de 15 000 personnes.

Ottawa promet aussi d’entreprendre des actions visant à ajuster le nombre d’admissions de résidents temporaires.

«Nous sommes un pays qui est devenu plutôt dépendant aux travailleurs étrangers temporaires avec certains (effets) pervers», a-t-il dit en faisant référence à des cas de salaires insuffisants et d’abus dans le secteur agricole. Il a aussi mentionné la possibilité de trouver des «voies de passage» vers l’obtention de la résidence permanence pour ces travailleurs.

«Les Canadiens nous ont dit qu’on a besoin de certains travailleurs dans certains domaines. Il va falloir remédier puis remodeler nos politiques publiques, puis de les avoir plus tissées sur mesure sur les demandes des industries, des employeurs, des syndicats et des agriculteurs», a dit le ministre.

Désaccords sur la consultation

Le gel à 500 000 nouveaux résidents permanents déplaît au gouvernement du Québec, qui aurait aimé voir «voir le fédéral réduire ses ambitions», a résumé la ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette.

Celle qui est aussi responsable de la francisation et de l’intégration estime que «la situation qui prévaut au Québec n’a pas été prise en considération» par Ottawa avant qu’il établisse ses cibles pancanadiennes annoncées mercredi.

«Je vous dirai que sur le plan administratif, il y a eu des échanges qui peuvent s’apparenter à une consultation, mais au niveau politique, il n’y a pas eu de consultation», a-t-elle dit.

L’immigration est une compétence partagée entre Québec et Ottawa et le gouvernement de François Legault a, dans sa propre annonce, signalé mercredi qu’il maintient ses cibles d’immigration à 50 000 par année pour 2024 et 2025. L’an prochain, 6500 autres nouveaux résidents permanents pourraient s’ajouter dans la province grâce au Programme de l’expérience québécoise.

M. Miller, lui, a affirmé avoir parlé des cibles du fédéral avant leur annonce avec Mme Fréchette, bien qu’il a aussi souligné que les discussions se passent aussi «régulièrement» au niveau de «la haute fonction publique».

«Évidemment, sachant publiquement la position de la CAQ sur les niveaux du Canada, est-ce qu’il y avait lieu de consulter davantage spécifiquement sur ce chiffre-là? Ce serait une question à poser à Mme Fréchette, mais (…) on s’était parlés de trois catégories spécifiques», a-t-il répondu aux journalistes à Ottawa, mentionnant les demandeurs d’asile, les travailleurs étrangers  temporaires et la réunification familiale.

Justement, Québec a formulé des demandes précises sur deux de ces catégories. Dans un premier temps, le premier ministre québécois François Legault veut qu’Ottawa réduise significativement le la proportion de demandeurs d’asile reçus par la province au moyen d’une meilleure répartition ailleurs au Canada.

Deuxièmement, le premier ministre souhaite que le fédéral limite à trois ans la période durant laquelle des travailleurs temporaires tombant dans le giron de sa juridiction puissent rester au Québec sans avoir complété un test de maîtrise du français.

Plus précisément, ces immigrants temporaires sont ceux accueillis avec le Programme de mobilité internationale (PMI), qui permet l’embauche de personnes par des employeurs sans qu’ils aient à fournir une étude d’impact sur le marché du travail.

Le gouvernement Legault espère ainsi que ceux qui souhaitent, au fil du temps, élire domicile à plus long terme au Québec s’intègrent à la société en français. La province appliquera la même échéance de trois ans pour les personnes venues au moyen du Programme des travailleurs étrangers temporaires (PTET) relevant de sa responsabilité.

Questionné sur la requête concernant le PMI et les exigences linguistiques souhaitées, M. Miller a semblé vouloir démontrer de l’ouverture tout en éviter de s’avancer clairement.

«C’est une initiative que j’appuie, encore faudra-t-il regarder les détails pour voir si c’est réalisable», a-t-il offert comme réponse. Il n’a pas manqué de souligner la part fédérale du financement des efforts de francisation.

«Ce sera à suivre. Trois ans, le français c’est une langue très précise, très spécialisée, difficile à apprendre, difficile d’accès pour beaucoup», a-t-il dit tout en encourageant tous les nouveaux arrivants à apprendre la langue de Molière.

Selon le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, M. Miller n’aura d’autre choix que de réviser les cibles qu’il a annoncées mercredi puisqu’il a voté en faveur d’une motion en ce sens adoptée à l’unanimité par la Chambre des communes.

Ce texte entériné vise à ce qu’Ottawa consulte le Québec et les autres provinces avant de fixer ses objectifs pancanadiens. Le libellé demande aussi «au gouvernement de revoir ses cibles d’immigration dès 2024» en fonction de telles consultations.

M. Blanchet a appelé à «une vraie conversation» qui pourrait prendre la forme d’un sommet entre ministres de l’Immigration, de façon à «rompre l’habitude d’Ottawa de faire descendre vers les provinces un peu vassales un chiffre qu’Ottawa a décidé tout seul, ici, sur le bord du canal Rideau».

– Avec des informations de Thomas Laberge, à Québec, et Michel Saba, à Ottawa