La pénurie de personnel en prison pourrait-elle exacerber le suicide de détenus ?

HALIFAX — Pendant des jours entiers, Richard Murray quittait à peine sa cellule, confiné là par une pénurie de personnel qui obligeait les autorités à enfermer les détenus. 

«C’est une cruauté totale et je n’existe que dans ces quatre murs de l’enfer, a écrit M. Murray, âgé de 60 ans, dans une lettre reçue par son épouse Mary Hendsbee le 16 janvier dernier. Pourquoi je me bats pour voir un autre jour?»

Mais lorsque la lettre manuscrite arrive, M. Murray a déjà renoncé à se battre: il s’était suicidé la veille à l’intérieur de l’Établissement correctionnel du centre de la Nouvelle-Écosse, une prison provinciale.

M. Murray attendait son procès depuis neuf mois après son arrestation pour avoir pointé une arme à feu et proféré des menaces à son domicile près d’Antigonish — des accusations qu’il avait l’intention de contester vigoureusement devant le tribunal.

Mais dans sa lettre – qui a été fournie à La Presse Canadienne par sa famille et qui avait été soumise à l’examen des agents correctionnels avant d’être postée – il indiquait à six reprises qu’il s’attendait à mourir dans cette prison, connue sous le nom de «Burnside». Dans cette lettre, il demandait à son épouse d’informer la population de «la cruauté injustifiée d’un patient en santé mentale retenu volontairement jusqu’à (sa) mort».

L’épouse de M. Murray, son avocat et le syndicat représentant les gardiens de prison voient tous sa mort comme le signe d’un système correctionnel dangereusement sous-financé, bien que le gouvernement progressiste-conservateur de la Nouvelle-Écosse affirme qu’il fait des progrès pour remédier à la pénurie chronique de personnel dans les prisons.

Dans des lettres antérieures, M. Murray avait dépeint à sa femme Mary une sombre image de la vie pendant les fréquents «confinements», lorsque les responsables des services correctionnels avaient recours à l’isolement des détenus dans leurs cellules plutôt que de leur permettre de passer les 12 heures habituelles dans les aires communes chaque jour. Dans des documents judiciaires, les responsables de la prison ont cité le manque de personnel comme motif.

«Je ne me sens pas très bien depuis un moment maintenant, car lorsque je me penche, j’ai l’impression que ma tête va exploser et que les maux de tête s’aggravent et que les gens commentent à quel point je suis rouge, a écrit M. Murray dans une lettre. C’est curieux: je ne suis sorti qu’une seule journée au cours des six derniers mois.

«Il semble également que nous sortions (des cellules) selon une rotation moitié-moitié les jours impairs maintenant; cela va au-delà de la cruauté. Les gens vont craquer — quand et où, personne ne le sait», a-t-il écrit dans une autre lettre.

Confinements «illégaux»

Mme Hendsbee soutient que son mari avait reçu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique, de dépression et de troubles anxieux, mais qu’il avait tout de même du mal à recevoir un traitement ou des médicaments en prison.

Trois jours seulement avant sa mort, un juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse a qualifié d’illégaux les confinements imposés à la prison Burnside en raison du manque d’agents correctionnels. 

Ashley Wolfe, une avocate qui a représenté M. Murray, a déclaré jeudi dans une entrevue que le cas de son ancien client illustrait certains des problèmes sous-jacents du système judiciaire, notamment le manque d’installations dans la communauté où des détenus à faible risque peuvent attendre la tenue de leur procès.

L’avocate a déclaré que la demande de libération sous caution de M. Murray avait été rejetée par un juge en raison de «préoccupations concernant la surveillance lors de la libération». Elle estime que les juges sont souvent peu disposés à accorder la libération lorsque la surveillance de l’accusé est confiée à des membres de la famille proche – comme c’était le cas pour M. Murray. Mais elle a déclaré qu’il n’y avait souvent pas de place dans les établissements de traitement de santé mentale ou les maisons de transition qui auraient pu offrir une autre solution.

Deborah Bayers, porte-parole du ministère de la Justice de la Nouvelle-Écosse, a déclaré qu’un examen du décès était mené par un comité supervisé par le coroner en chef de la province.

Hugh Gillis, vice-président du syndicat des Employés du gouvernement et des employés généraux de la Nouvelle-Écosse, soutient que le personnel pénitentiaire ne reste souvent pas longtemps en raison de la détérioration des conditions de détention. «Le manque critique de personnel rend le séjour dangereux pour le personnel et pour les détenus», a-t-il déclaré.

Il a également déclaré que le manque chronique de personnel signifiait que les protocoles — tels que les contrôles des cellules toutes les 30 minutes et la surveillance du courrier à la recherche de signes de risque de suicide —  devenaient plus difficiles à mettre en œuvre.

Mme Hendsbee, elle, a encore de nombreuses questions qui demeurent sans réponse, notamment si son mari avait été correctement contrôlé la nuit de sa mort, pourquoi il n’avait pas reçu davantage de traitement pour ses problèmes de santé mentale et si quelqu’un avait remarqué ses pensées suicidaires dans la lettre qu’elle a reçue.

«Ils sont censés le surveiller et ils auraient dû le surveiller (…) Cette mort n’aurait absolument, absolument jamais dû se produire.»