Étudier à l’université avec des colocs du troisième âge

MONTRÉAL — Logés, nourris, accès à l’internet sans fil, le tout en échange d’une dizaine d’heures de bénévolat par semaine: en pleine crise du logement, l’offre alléchante de trois résidences privées pour aînés (RPA) pourrait séduire les étudiants à qui elle s’adresse alors que les appartements se font rares et onéreux.

La Résidence Marie-Rose, située à L’Épiphanie, dans Lanaudière, la Résidence La Belle Époque, à La Prairie, en Montérégie, et la Résidence Les Jardins Latourelle, à Louiseville, en Mauricie, ont récemment lancé un appel aux étudiants du collégial et de l’université pour venir cohabiter pendant l’année scolaire avec leurs pensionnaires, des retraités autonomes et semi-autonomes. Toutes trois sont affiliées au Groupe Libertia et vivront l’expérience de la cohabitation intergénérationnelle pour la toute première fois à la prochaine rentrée.

L’idée d’héberger de jeunes pensionnaires chez les aînés n’a rien de nouveau; depuis 2017, la Résidence Les Maronniers de Trois-Rivières, également propriété de l’entreprise, a fait le saut en accueillant ses deux premières étudiantes.

«La direction avait été inspirée par un projet de résidence intergénérationnelle aux Pays-Bas», relate Jessica Lambert-Fandal, directrice des communications et du marketing des résidences du  Groupe Libertia.

L’initiative a été rapidement couronnée de succès, si bien que l’expérience a été reconduite. «Les étudiantes sont revenues l’année d’après, les résidants étaient très attachés à elles, témoigne Mme Lambert-Fandal. On a eu droit à de beaux moments émouvants.»

Cette expérience, de même que celle des Résidences Pelletier, à Drummondville, a également servi de projet d’étude au Centre collégial d’expertise en gérontologie de Drummondville (CCEG), qui a depuis publié des guides à l’attention d’autres RPA désireuses de faire le saut, en plus d’organiser des webinaires sur le sujet.

«Le fait d’en avoir entendu parler a donné envie à d’autres résidences de faire la même chose, confirme Julie Castonguay, conseillère pédagogique et chercheure au CCEG. Mais ce n’est pas nécessairement facile de le lancer, et on ne connaissait pas les conditions gagnantes d’un projet comme celui-là.»

À Québec, Les Jardins Saint-Sacrement ont accueilli deux étudiantes de l’Université Laval en août dernier, selon le modèle du Groupe Libertia.

Timidité et méconnaissance

La cohabitation intergénérationnelle se déroule aussi en dehors des RPA, bien que plus rare. Outre les résidences bigénérationnelles, où on retrouve les membres d’une même famille, certains aînés acceptent de louer une chambre de leur demeure à un étudiant, que ce soit pour avoir de la compagnie, pour éviter de casser maison ou pour avoir un coup de main pour certaines tâches ménagères et d’entretien.

L’organisme Combo2Générations, qui existe depuis 2017, vise justement à mettre en contact des individus qui pourraient cohabiter. Or, souligne l’une de ses cofondatrices, Isabelle Cazes, les étudiants sont beaucoup plus nombreux que les aînés à manifester leur intérêt, ce qui a limité le nombre de jumelages réalisés.

«Ce sont eux qui ouvrent les portes de leur maison, donc ils sont parfois plus craintifs», dit-elle, ajoutant que tous les candidats font l’objet de vérifications sérieuses.

«On a aussi des gens qui ont découvert notre existence sur le tard et qui ont dit qu’avoir su, ils auraient attendu avant de quitter leur maison pour aller en résidence.»

«On est moins habitués à voir de telles initiatives, contrairement à l’Europe où c’est beaucoup plus commun, affirme pour sa part Julie Castonguay. C’est purement de la méconnaissance: on ne pense même pas que c’est possible.»

Faire d’une pierre deux coups

La cohabitation intergénérationnelle contribue à briser l’isolement des nouveaux colocataires, qu’importe leur âge. 

«On pense beaucoup à la solitude des aînés, mais pour un jeune adulte, débarquer dans un nouveau milieu, parfois une nouvelle région, pour entamer des études, ça peut être difficile», témoigne Mme Lambert-Fandal.

«On a tendance à se dire que les étudiants, de jeunes adultes, et les personnes âgées, ce sont deux populations différentes qui n’ont rien à se dire, mais quand elles cohabitent ensemble, elles en retirent des bénéfices communs et ça permet aussi de briser certains préjugés», estime Mme Castonguay.

Le fait d’avoir des intérêts communs permet aussi de tisser des liens plus serrés. Julie Castonguay donne l’exemple d’une aînée qui a profité de l’hébergement d’une étudiante en arts visuels pour peaufiner ses propres techniques de dessin.

Chez Combo2Générations, on souhaite atteindre un nombre suffisant de candidatures pour procéder à des maillages en ce sens. «On pense, par exemple, à jumeler un étudiant en médecine avec un médecin retraité, ou une historienne avec une étudiante en histoire», illustre Mme Cazes.

Pour les étudiants, c’est aussi une manière d’alléger une facture importante. «Je travaille dans une université, je vois à quel point certains jeunes ont du mal à arriver», commente Mme Cazes.

«C’est clairement un stress financier de moins pour les jeunes, de ne pas avoir à se soucier de payer un loyer en plus d’avoir trois repas qu’ils n’ont pas à cuisiner chaque jour, souligne Julie Castonguay. Mais ça ne doit pas être l’incitatif principal pour s’impliquer.»

Loger et nourrir gratuitement deux étudiants représente en contrepartie une dépense pour les RPA, qui se privent dès lors de deux revenus de location. 

Les projets de cohabitation bénéficient toutefois d’un soutien financier du Secrétariat à la jeunesse du Québec pour compenser les deux loyers en moins.

Un investissement qui en vaut la chandelle, selon les personnes interrogées, et qui donne souvent naissance à des amitiés improbables. «Au-delà du simple logement, c’est un esprit de famille qui se développe, relate Mme Lambert-Fandal. Certains anciens étudiants, qui ont commencé leur vie, reviennent même voir nos aînés et gardent un lien avec eux.»