Entente avec la Cour du Québec: Jolin-Barrette pourra nommer des juges unilingues

QUÉBEC — Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a signé mercredi une «entente qui n’est pas parfaite» avec la Cour du Québec pour enterrer la hache de guerre et nommer davantage de juges unilingues francophones. 

«Je constate qu’il y a une nouvelle ère à la Cour du Québec», a commenté le ministre en mêlée de presse au parlement.

Il était constamment à couteaux tirés avec l’ancienne juge en chef Lucie Rondeau, mais vient ainsi de convenir d’un accord avec son successeur Henri Richard, afin de mettre fin à un conflit singulier entre le gouvernement et le pouvoir judiciaire concernant la langue des magistrats.

Le ministre de la Justice reprochait à la juge Rondeau d’exiger «presque systématiquement» que les magistrats soient bilingues. Il tenait à lancer des appels de candidatures à Montréal, Laval, Terrebonne, Joliette et Labelle, sans exigence de bilinguisme. Elle soutenait pour sa part que cet enjeu relevait de «l’indépendance judiciaire» face au politique.

Le gouvernement pourra nommer maintenant des magistrats unilingues dans plus de la moitié des districts judiciaires.

Il a reconnu que «l’entente n’est pas parfaite» et qu’«on met tout le temps de l’eau dans notre vin».

Le texte de cinq pages prévoit des proportions strictes de juges devant maîtriser la langue anglaise à respecter dans 17 des 36 districts judiciaires au Québec.

«Ça garantit que n’importe quel avocat, n’importe quel notaire peut accéder à la magistrature, a expliqué M. Jolin-Barrette. Il n’est pas obligé de maîtriser la langue anglaise. La langue anglaise ne constitue pas une barrière.»

Dans les régions de la Capitale-nationale, du Saguenay-Lac-Saint-Jean, du Bas-Saint-Laurent, de la Mauricie, des Bois-Francs, du Centre-du-Québec, de Kamouraska, il n’y aura aucune exigence de connaissance de la langue anglaise dans les avis de poste à pourvoir.

Des taux variables

Dans certaines régions, Estrie, Montérégie, la couronne nord, cela varie selon les districts. 

En revanche, dans presque toutes les autres régions, il sera exigé qu’une majorité, voire la totalité des juges puissent présider une audience en anglais, que ce soit en Chambre criminelle et pénale, en Chambre de la jeunesse ou en Chambre civile.

Ainsi, en Gaspésie, 100 % des juges devront être bilingues dans les trois chambres, de même que dans le district de Mingan, sur la Basse-Côte-Nord. 

En Abitibi-Témiscamingue et dans le Nord-du-Québec, tous les juges affectés à la cour itinérante devront être bilingues. 

Dans Laval-Laurentides-Lanaudière-Labelle, les proportions sont variables. À Laval et Terrebonne, 90 % des juges des Chambres criminelles et de la jeunesse devront être bilingues, mais 80 % en Chambre civile. 

Dans Labelle, c’est 100 % des juges dans les trois chambres, alors qu’à Joliette, on fixe à 80 % le taux de bilinguisme des juges au criminel et en jeunesse, mais à 50 % au civil. 

En Estrie, il n’y a aucune exigence pour les districts de Drummond et Mégantic, mais dans Bedford, 90 % des juges des trois chambres devront être bilingues.

En Montérégie, dans Longueuil et Beauharnois, 90 % des juges devront être bilingues au criminel et à la jeunesse, mais pour la Chambre civile de Longueuil, la proportion passe à 80 %. Par contre, dans Richelieu et Saint-Hyacinthe, aucune exigence n’est fixée.   

Finalement à Montréal et en Outaouais, 90 % des magistrats des trois chambres devront être bilingues. 

Une poursuite

Rappelons que la juge en chef Rondeau et le Conseil de la magistrature avaient poursuivi le ministre parce qu’il avait renoncé à l’exigence de bilinguisme dans des appels de candidatures pour des juges dans les districts de Montréal, Laval, Terrebonne, Joliette et Labelle. 

En février 2022, la Cour supérieure avait donné raison à la juge Rondeau: le juge Christian Immer avait tranché que le ministre ne jouissait d’aucun pouvoir quant à la rédaction des avis de sélection des candidats à la fonction de juge à la Cour du Québec.

Il avait qualifié l’intervention récente du ministre dans la publication d’une série d’avis de sélection d’ultra vires (qui outrepasse ses pouvoirs) et illégale.

Ce litige découlait de six appels de candidatures sur un total de 25 en chambre civile ou de la jeunesse. Ces avis visaient des postes à pourvoir dans les régions de Montréal, Valleyfield et Saint-Jérôme, où la juge en chef estimait que le bilinguisme était essentiel à la fonction.

Autre pomme de discorde: en 2021, la juge Rondeau s’était opposée avec fermeté au projet du ministre de mettre sur pied des tribunaux spécialisés en matière de violence conjugale et sexuelle – projet qui a vu le jour depuis.

Le gouvernement avait par ailleurs refusé d’entendre la juge Rondeau en commission parlementaire sur cet enjeu.

Le processus de nomination des juges a été réformé à la suite de la commission Bastarache: c’est un comité indépendant qui propose une liste d’un maximum de trois noms de candidats au ministre après un avis de candidature. Par la suite, le ministre propose un candidat au conseil des ministres qui ne fait qu’entériner le choix.