Le Pakistan se rend aux urnes alors que les attaques militantes se multiplient

ISLAMABAD — Les Pakistanais ont bravé le froid hivernal et la menace de violence pour commencer à voter pour un nouveau parlement, alors que les deux attentats à la bombe de la veille ont coûté la vie à au moins 30 personnes.

Des dizaines de milliers de policiers et de forces paramilitaires ont été déployés dans les bureaux de vote pour assurer la sécurité des électeurs, dans le cadre de ces élections hautement contestées.

Pourtant, la veille des élections, deux attentats à la bombe contre des bureaux électoraux dans la province agitée du Baloutchistan, dans le sud-ouest du pays, ont tué au moins 30 personnes et en ont blessé plus d’une vingtaine d’autres.

Le scrutin a également été entaché d’allégations du parti pakistanais Tehreek-e-Insaf de l’ancien premier ministre emprisonné Imran Khan, selon lesquelles ses candidats n’avaient pas eu une chance équitable de faire campagne à l’approche du vote.

L’ancienne vedette du cricket devenue homme politique islamiste – évincé du pouvoir lors d’une motion de censure en avril 2022 – est désormais derrière les barreaux et n’a pas le droit de se présenter, mais demeure extrêmement populaire. Il reste cependant à savoir si ses partisans en colère et désillusionnés se rendront en grand nombre aux urnes pour voter pour ses candidats.

L’élection intervient à un moment critique pour ce pays doté de l’arme nucléaire, allié imprévisible de l’Occident et partageant des frontières avec l’Afghanistan, la Chine, l’Inde et l’Iran. Le prochain gouvernement pakistanais sera confronté à d’énormes défis, qu’il s’agisse de contrôler l’instabilité, de surmonter la crise économique ou d’endiguer l’immigration clandestine.

Les élections débutent

Le temps du jour du vote était froid, mais clair. Les habitants des principales villes du Pakistan, notamment Lahore, Karachi, Quetta et Multan, faisaient la queue devant les bureaux de vote pour voter. Le service de téléphonie mobile a été temporairement suspendu après les attentats à la bombe de la veille. Le communiqué du ministère pakistanais de l’Intérieur indique que la décision a été prise pour maintenir l’ordre public. Il n’a pas été précisé quand la suspension serait levée.

Pas moins de 44 partis politiques se disputent une part des 266 sièges à remporter à l’Assemblée nationale. 70 sièges supplémentaires sont réservés aux femmes et aux minorités sur les 336 sièges du Parlement.

Après les élections, le nouveau parlement choisira le prochain premier ministre du pays, et les profondes divisions politiques rendent plus probable la formation d’un gouvernement de coalition. Par ailleurs, des élections auront également lieu jeudi pour les quatre assemblées provinciales du pays.

Lors des dernières élections parlementaires en 2018, lorsque M. Khan est arrivé au pouvoir, un peu plus de la moitié des quelque 127 millions d’électeurs du pays avait voté. Si aucun parti n’obtient la majorité simple, celui qui arrive premier a la possibilité de former un gouvernement de coalition, en s’appuyant sur ses alliés à la Chambre.

Le candidat favori, Nawaz Sharif, est associé à la Ligue musulmane du Pakistan. L’ancien premier ministre est revenu au Pakistan en octobre dernier après quatre ans d’exil volontaire à l’étranger pour éviter de purger des peines de prison dans son pays. Quelques semaines après son retour, ses condamnations ont été annulées, lui laissant la liberté de briguer un quatrième mandat.

Avec son rival Imran Khan mis à l’écart et en prison, Nawaz Sharif semble avoir un chemin assez simple vers le poste de premier ministre, soutenu par son jeune frère, l’ancien premier ministre Shehbaz Sharif, qui est susceptible de jouer un rôle important dans un cabinet dirigé par son frère aîné.

Le Parti du peuple pakistanais a également de sérieuses chances. Celui-ci a une base de pouvoir dans le sud et est dirigé par une étoile montante de la politique nationale: Bilawal Bhutto-Zardari, le fils de l’ancien premier ministre assassiné Benazir Bhutto.

Les frères Sharif et M. Bhutto-Zardari sont des rivaux traditionnels, mais ont uni leurs forces contre Imran Khan dans le passé, et Bilawal Bhutto-Zardari a été ministre des Affaires étrangères jusqu’en août dernier, pendant le mandat de Shehbaz Sharif en tant que premier ministre.

Si les partisans de M. Khan restent à l’écart des urnes, les analystes prédisent que la course reviendra aux partis de Nawaz Sharif et de Bilawal Bhutto-Zardari, tous deux désireux de maintenir leur opposant à l’écart.

Comme il est peu probable que M. Bhutto-Zardari obtienne le poste de premier ministre à lui seul, il pourrait toujours faire partie d’un gouvernement de coalition dirigé par le leader de la Ligue musulmane du Pakistan.

Imran Khan victime de harcèlement, selon l’ONU

Pour Imran Khan, reconnu coupable de corruption, de révélation de secrets d’État et d’infraction aux lois sur le mariage – et condamné à trois, dix, quatorze et sept ans, à purger concurremment – le vote est un revers de fortune par rapport aux dernières élections qu’ils l’ont mené au pouvoir.

Les candidats de son parti ont été contraints de se présenter comme indépendants après que la Cour suprême et la Commission électorale ont déclaré qu’ils ne pouvaient pas utiliser le symbole du parti, une batte de cricket, sur les bulletins de vote pour aider les électeurs analphabètes à les repérer lors du scrutin.

La défaite de M. Khan et la résurrection de la dynastie politique des Sharif ont donné l’impression d’un résultat prédéterminé, et «il est peut-être trop tard pour changer cette perception», selon Farzana Shaikh, chercheuse associée au groupe de réflexion à Chatham House, basée à Londres.

Mardi, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme a mis en garde la population contre une «forme de harcèlement» contre les membres du parti d’Imran Khan, et soutient que le candidat a été soumis à un «règne de terreur» et qu’il a été empêché d’organiser des rassemblements comme le parti de Nawaz Sharif. Les autorités nient les allégations.

Les Pakistanais, comme la population de nombreux autres pays pauvres, sont aux prises avec une inflation élevée et persistante, des niveaux de pauvreté croissants, des pannes de gaz quotidiennes et des coupures d’électricité de plusieurs heures.

Depuis la mise à l’écart de M. Khan, le Pakistan s’est appuyé sur des plans de sauvetage pour relancer son économie en difficulté, dont une enveloppe de 3 milliards de $ du Fonds monétaire international et l’aide de riches alliés comme la Chine et l’Arabie saoudite qui ont fourni de l’argent et des prêts.

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Riazat Butt est présentement à Lahore, au Pakistan.