Face au changement climatique, des fermiers indiens tentent l’agriculture naturelle

GUNTUR ET BANGALORE — Il y a une odeur âcre dans la ferme de Ratna Raju qui, selon lui, protège ses cultures des conditions météorologiques imprévisibles et extrêmes, devenues plus fréquentes avec le changement climatique provoqué par l’homme.

L’odeur provient d’une concoction d’urine de vache, d’un sucre non raffiné connu sous le nom de «jaggery» et d’autres matières organiques qui agissent comme engrais, pesticides et barrières contre les intempéries pour son maïs, son riz, ses légumes-feuilles et autres légumes dans sa ferme de Guntur, dans l’État de l’Andhra Pradesh, dans le sud de l’Inde. La région est fréquemment frappée par des cyclones et des chaleurs extrêmes, et les agriculteurs affirment que l’agriculture dite naturelle protège leurs cultures, car le sol peut retenir plus d’eau et leurs racines plus robustes aident les plantes à résister aux vents violents.

L’Andhra Pradesh est devenu un exemple positif des avantages de l’agriculture naturelle, et ses défenseurs affirment que le soutien actif du gouvernement est le principal moteur de la réussite de cet État. Les experts estiment que ces méthodes devraient être étendues aux vastes terres agricoles de l’Inde, car le changement climatique et la baisse des bénéfices ont conduit à de nombreuses protestations d’agriculteurs cette année. Mais le nouveau soutien du gouvernement à travers le pays en faveur de ces méthodes signifie que la plupart des agriculteurs continuent d’utiliser des pesticides et des engrais chimiques, ce qui les rend plus vulnérables en cas de conditions météorologiques extrêmes. De nombreux agriculteurs réclament davantage d’investissements fédéraux et étatiques pour aider les exploitations agricoles à adopter des pratiques plus résistantes au changement climatique.

Pour beaucoup, les avantages d’investir davantage dans l’agriculture naturelle sont déjà évidents: en décembre, le cyclone Michaung, une tempête atteignant 110 km/heure, a provoqué de fortes pluies sur la côte sud-est de l’Inde, inondant les villes et les champs. Une évaluation préliminaire menée quelques semaines plus tard a révélé que 600 000 acres de cultures avaient été détruites dans l’État d’Andhra Pradesh.

Cependant, dans la ferme naturelle de M. Raju, où il cultivait du riz à l’époque, «l’eau de pluie de nos fermes s’est infiltrée dans le sol en une journée», a-t-il raconté. Le sol peut absorber plus d’eau, car il est plus poreux qu’un sol chargé de pesticides, qui est craquant et sec. Planter différents types de cultures tout au long de l’année – par opposition aux fermes de monocultures plus classiques – contribue également à maintenir le sol en bonne santé, a-t-il ajouté.

Mais les champs du fermier voisin Srikanth Kanapala, qui dépendent de pesticides et d’engrais chimiques, ont été inondés pendant quatre jours après le cyclone. Il a déclaré que voir les récoltes de Raju tenir bon alors que les siennes échouaient l’avait rendu curieux des méthodes agricoles alternatives.

«J’ai subi d’énormes pertes», a expliqué M. Kanapala, qui estime avoir perdu jusqu’à 600 $ US (815 $ CAN) à cause du cyclone, une somme substantielle pour un petit agriculteur indien. «Pour la prochaine saison de plantation, j’ai également l’intention d’utiliser des méthodes agricoles naturelles.»

Un objectif de 25% de fermes biologiques

Selon Rythu Sadhikara Samstha, une organisation à but non lucratif soutenue par le gouvernement et lancée en 2016 pour promouvoir l’agriculture naturelle, les initiatives des gouvernements local et fédéral ont permis à environ 700 000 agriculteurs de se tourner vers l’agriculture naturelle dans l’État. L’Andhra Pradesh espère inciter ses six millions d’agriculteurs à se lancer dans l’agriculture naturelle d’ici la fin de la décennie.

Le ministère de l’Agriculture du gouvernement fédéral indien a dépensé plus de 8 millions $ US (10,8 millions $ CAN) pour promouvoir l’agriculture naturelle et affirme que des agriculteurs qui cultivent près d’un million d’acres à travers le pays ont adopté cette pratique. En mars de l’année dernière, le ministre indien de l’Agriculture a déclaré qu’il espérait qu’au moins 25 % des fermes indiennes utiliseraient des techniques agricoles biologiques et naturelles.

Mais des agriculteurs comme Meerabi Chunduru, l’un des premiers de la région à passer à l’agriculture naturelle, ont pointé qu’un soutien gouvernemental et politique accru était nécessaire. Mme Chunduru a déclaré qu’elle avait adopté cette pratique après que la santé de son mari se soit détériorée, ce qui, selon elle, est dû à une exposition prolongée à certains pesticides nocifs.

Même si les effets des divers pesticides sur la santé n’ont pas encore été étudiés en détail, les travailleurs agricoles du monde entier affirment depuis longtemps qu’une exposition prolongée entraîne des problèmes de santé. En février, un jury de Philadelphie a accordé 2,25 milliards $ US (3,06 milliards $ CAN) de dommages et intérêts dans une affaire dans laquelle un désherbant contenant du glyphosate – restreint en Inde depuis seulement 2022 – était lié au cancer du sang d’un résident. En Inde, 63 agriculteurs sont morts dans l’État du Maharashtra, à l’ouest du pays, en 2017, probablement en lien avec un pesticide contenant le produit chimique Diafenthiuron, actuellement interdit dans l’Union européenne, mais pas en Inde.

«À l’heure actuelle, peu de politiciens parlent d’agriculture naturelle. Il y a un certain soutien, mais nous en avons besoin de plus», a souligné Mme Chunduru. Elle a appelé à davantage de subventions pour les semences telles que l’arachide, le gramme noir, le sorgho, les cultures maraîchères et le maïs, qui peuvent aider les agriculteurs à faire le changement.

Des politiciens sceptiques

Les militants des droits des agriculteurs ont rappelé que le scepticisme à l’égard de l’agriculture naturelle parmi les dirigeants politiques, les bureaucrates gouvernementaux et les scientifiques est toujours omniprésent, car ils font toujours confiance aux modèles agricoles existants qui utilisent des engrais, des insecticides et des pesticides pour atteindre une productivité maximale. À court terme, les alternatives chimiques peuvent être moins chères et plus efficaces, mais à long terme, elles nuisent à la santé des sols, ce qui signifie que de plus grandes quantités de produits chimiques sont nécessaires pour entretenir les cultures, provoquant un cycle de coûts plus élevés et de sols plus pauvres, disent les défenseurs de l’agriculture naturelle.

«Les initiatives agroécologiques ne reçoivent pas suffisamment d’attention ni de dépenses budgétaires», a reproché Kavitha Kuruganti, une militante qui lutte pour des pratiques agricoles durables depuis près de trois décennies. Le gouvernement indien consacre moins de 3% de son budget total à l’agriculture. Il a prévu près de 20 milliards $ US (27 milliards $ CAN) pour subventionner les engrais cette année, mais seulement 55 millions $ US (74,75 millions $ CAN) ont été alloués par le gouvernement fédéral pour encourager l’agriculture naturelle. Mme Kuruganti a souligné qu’une poignée de politiciens soutiennent cette pratique, mais que son extension reste un défi en Inde.

L’absence de normes et de directives nationales ou d’une chaîne d’approvisionnement viable par laquelle les agriculteurs peuvent vendre leurs produits maintient également l’agriculture naturelle dans une niche relative, a déclaré NS Suresh, chercheur en sciences au Centre d’étude de la science, de la technologie et de la politique, un groupe de réflexion basé à Bangalore.

Mais comme cette pratique aide à maintenir les plantes et le sol en bonne santé dans différents types de sols et dans toutes sortes de conditions météorologiques imprévisibles, elle est bénéfique pour les agriculteurs de toute l’Inde, des montagnes aux côtes, selon les experts. Et la pratique consistant à planter différentes cultures tout au long de l’année signifie que les agriculteurs ont des produits à récolter à tout moment, ce qui donne un coup de pouce supplémentaire à leur sol et à leur portefeuille.

Mme Chunduru, qui pratique l’agriculture naturelle depuis quatre ans maintenant, espère que donner la priorité à l’agriculture naturelle dans le pays pourra bénéficier à la fois aux producteurs et aux consommateurs de telles cultures, et que d’autres agriculteurs éviteront le genre de préjudices auxquels son mari a été confronté.

«Nous pouvons fournir des aliments riches en nutriments, des sols et des corps sains» aux générations futures, a-t-elle insisté.

___

La couverture climatique et environnementale de l’Associated Press reçoit le soutien financier de plusieurs fondations privées. AP est seule responsable de tout le contenu.