La sixième année dans la langue de Shakespeare

Sous l’égide du gouvernement libéral, quelques écoles primaires ont commencé à enseigner l’anglais pendant la moitié des heures de classe aux jeunes de sixième année. Le but avoué était d’étendre le programme d’anglais intensif à toutes les écoles de la province d’ici 2015. Or, avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement, Québec a mis le projet sur la glace. Une décision formelle se fait toujours attendre au ministère de l’Éducation. Cela n’a pas empêché l’école primaire de Louiseville de mettre de l’avant le programme. Pour les enseignantes, Claudette Caron et Julie Gravel, titulaires de la classe louisevilloise, pas question de revenir en arrière.

Contrairement à ce qui avait été fait auparavant dans les autres «classes-pilotes», l’école louisevilloise a regroupé ses deux groupes de sixième année ensemble, ce qui a occasionné la création d’un méga groupe de 36 élèves, dirigé par deux enseignantes responsables.

«C’est important d’avoir deux profs qui ont une bonne chimie», conviennent les enseignantes.

Le matin, Mme Gravel enseigne les matières générales, tandis que Mme Caron apporte un soutien individualisé aux élèves. Puis, l’après-midi, les rôles sont inversés.

Selon les enseignantes, le constat est sans équivoque. Les élèves apprennent mieux, ils sont plus motivés par l’école et les résultats sont au moins aussi bons que dans le passé.

«J’ai un cas en particulier d’un élève qui ne voulait rien savoir du programme d’anglais intensif l’année dernière. Je lui expliqué qu’il n’avait pas le choix, que l’anglais intensif était pour tout le monde. Et puis, après un mois (d’écoulé à l’actuelle année scolaire), il est venu me voir pour de l’aide concernant un travail en français. Son projet consistait à convaincre une autre école de faire le même projet que nous autres», soutient Mme Caron.

Quand l’école ressemble à un jeu

Selon le tandem, la recette du succès est simple: les jeunes doivent avoir du plaisir à apprendre l’anglais. Les méthodes sont variées et surtout ludiques.

Ainsi, les élèves montent un théâtre de marionnettes, ils jouent au ballon chasseur et doivent traduire un mot français en anglais pour être «délivrés» et ils dirigent oralement une séance de tartinage de pain grillé.

«Ils trouvent ça drôle, ils veulent performer, on veut chercher l’efficacité du vocabulaire. Puis c’est motivant, parce que tu vois le prof beurré partout», explique Mme Caron.

N’empêche que les élèves ont la moitié moins de temps pour accroître leur apprentissage dans les autres matières.

«On travaille beaucoup par projet, au lieu d’avoir des pages et des pages d’étude. On offre plus de périodes de récupération aux élèves en difficulté. On leur inculque l’autonomie. Par exemple, s’ils n’ont pas bien compris la leçon de mathématique, on veut qu’ils viennent nous voir après le cours. En même temps, ça les prépare pour le secondaire», rétorque Mme Gravel à cet égard.

Le Mouvement national des Québécoises et des Québécois souhaite un moratoire

Le Mouvement national des Québécoises et des Québécois, dont fait partie la Société Saint-Jean-Baptiste de la Mauricie, ne s’oppose pas au projet, mais demande au gouvernement de pousser plus loin la réflexion avant de prendre une décision qui ouvrirait les portes de l’anglais intensif à tous les jeunes de sixième année.

«De prime abord, il faut maîtriser notre langue maternelle avant d’en maîtriser une autre. Il faut éviter de bilinguiser tout-le-monde mur à mur, on ratisse trop large. Il n’y a pas de réflexion qui est faite par notre gouvernement. Depuis quelques années, nous sommes en mode essai-erreur. Nous sommes d’accord avec l’enseignement de l’anglais, mais il doit y avoir un plan cohérent. On a besoin de l’anglais, mais ça ne doit pas s’apprendre n’importe comment. Qu’arrive-t-il après, en secondaire 1 et 2? Ma crainte, c’est qu’il n’y ait pas de plan d’ensemble», explique Jean Breton, agent d’information et d’animation pour la SSJB de la Mauricie.

L’organisme Impératif français, pour sa part, s’oppose catégoriquement à l’implantation du programme.

«La situation du bilinguisme à Montréal favorise déjà à tel point l’anglais qu’on voit mal comment une telle mesure peut avoir le moindrement un effet positif sur la situation précaire du français à Montréal et dans tout le Québec», a fait savoir l’organisme.

D’autre part, le gouvernement péquiste, estime que la réflexion doit se poursuivre.

«C’est qu’il y a des questions auxquelles on n’a pas répondu. Que fait-on par exemple avec les élèves qui ont des difficultés d’apprentissage? Est-ce qu’on les sort du groupe ou on les garde? Est-ce qu’on crée d’autres retards pour eux? Ces questions-là demeurent entières», avait révélé la ministre de l’Éducation, Marie Malavoy, à ce sujet, sur les ondes de la radio de Radio-Canada.

Quant à eux, les libéraux et les caquistes pressent le gouvernement d’élargir le programme à l’ensemble des écoles de la province, soutenant que l’heure est à la mondialisation des marchés et que la connaissance d’une deuxième langue est un avantage indéniable.