Une année déterminante pour la levée du moratoire

PERCHAUDE. Est-ce que les efforts pour restaurer le stock de perchaude dans le lac Saint-Pierre auront porté ses fruits? C’est ce que nous saurons au cours des prochains mois, puisque de nouveaux échantillonnages seront pris en vue de prendre une décision éclairée.

Des collectes de données dans l’archipel des îles de Sorel et dans le lac Saint-Pierre, suivies d’une longue analyse de la lecture d’âge avec les écailles des poissons permettront de se prononcer sur la pertinence de maintenir le moratoire sur la pêche à la perchaude qui a été instauré en 2012 pour une période de cinq ans.

Une levée complète ou partielle, comme le réclament les pêcheurs sportifs, pourrait être décrétée en 2017. Il est toutefois déjà acquis que les pourvoyeurs devront vivre au moins un autre hiver avec cette interdiction de pêcher le poisson de prédilection pour attirer les familles sur le lac Saint-Pierre.

Les résultats seront l’occasion de voir si la situation s’est améliorée ou si elle s’est dégradée depuis les dernières analyses effectuées en 2013, et surtout de savoir si la relève a pu se régénérer.

Selon les données que nous avons pu obtenir en vertu d’une volumineuse demande d’accès à l’information auprès du ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs (MFFP), on pouvait constater que les perchaudes de plus de trois ans étaient encore abondantes dans le lac Saint-Pierre. Ce sont celles âgées d’une et de deux années dont la présence était plutôt timide, et même inexistante dans certains secteurs.

Sur les 42 stations d’échantillonnage dans le lac Saint-Pierre, les perchaudes d’un an étaient pratiquement disparues de la carte, notamment sur la Rive-Sud, mais également à plusieurs endroits sur la Rive-Nord. En fait, aucun poisson d’un an n’a été observé dans 80% des stations d’échantillonnage.

Les espèces âgées de deux ans se portaient un peu mieux, mais leur situation n’était pas tellement reluisante. Elles n’ont pas été répertoriées dans 66% des stations d’échantillonnage et leur nombre s’en allait en dégradant comparativement aux précédentes analyses.

Cette situation perdurait déjà depuis 2009 et 2011, d’où le moratoire de cinq ans qui a été imposé. «L’absence de jeunes perchaudes, c’est de là qu’est venue l’inquiétude. Parce que c’est comme s’il n’y avait plus d’enfants qui naissaient dans un village», illustre le président du comité aviseur scientifique et professeur à l’UQTR, Pierre Magnan.

Celui-ci a bon espoir que les mesures prises au cours des dernières années auront eu pour effet de ralentir la dégradation du stock de perchaude, et de favoriser la survie des cohortes de 2014, 2015 et 2016.

Des conditions défavorables

Le nœud du problème, selon lui, c’est la dégradation des herbiers au fond du lac Saint-Pierre, qu’il compare à «une forêt sous-marine» où les poissons trouvent refuge.

À partir de 2007, où la prolifération des algues bleues est devenue problématique, les herbiers étaient encore très abondants. Comme les cyanobactéries entrent en compétition avec les herbiers, plusieurs endroits qui protégeaient les perchaudes, des deux côtés de de la voie navigable, sont maintenant complètement à découvert… sinon très parsemés.

Cette problématique provient notamment d’un plus grand apport en phosphore jumelé à un réchauffement de l’eau. «La température a augmenté de 0,5% depuis 20 ans en raison des changements climatiques. Ça paraît peu, mais c’est énorme!», indique Pierre Magnan, qui est aussi titulaire d’un Chaire de recherche en écologie des eaux douces.

Dans ces conditions, les cyanobactéries sont apparues le long des berges, notamment sur la Rive-Sud. Elles ont eu pour effet de réduire rapidement l’abondance des plantes aquatiques, la disponibilité de la nourriture, le taux de croissance et la survie hivernale de l’espèce…

À cela s’ajoutent les sédiments qui arrivent par tonnes dans le lac Saint-Pierre en provenance de la jonction des rivières Richelieu, Saint-François et Yamaska, soit le plus important bassin versant agricole au Québec. «C’est en train de remplir le lac et de changer la dynamique du fond», explique Pierre Magnan.

D’ailleurs, l’un des derniers refuges pour la perchaude d’un à deux ans se trouve au Nord-Ouest du lac, à la sortie des îles de Sorel, près de Maskinongé, où les herbiers sont encore abondants.

Pas la faute des agriculteurs

De 1950 à 1997 on a aussi pu observer une intensification des pratiques agricoles autour du lac Saint-Pierre, où l’on a assisté à la conversion de 2 500 hectares de cultures pérennes (fourrages, pâturages), propices à la faune, en cultures annuelles (maïs, soya), qui ne sont pas favorables à la reproduction. Une nouvelle cartographie de l’occupation des sols des basses-terres du Saint-Laurent est d’ailleurs attendue en 2016.

Le professeur Magnan refuse toutefois de faire porter le blâme aux agriculteurs. «Ils seront prêts à collaborer si on leur demande de changer leurs pratiques, de protéger les bandes riveraines et d’aménager des zones humides», assure-t-il.

Pas plus qu’il ne ferait porter le chapeau aux pêcheurs. D’ailleurs, le rachat des permis commerciaux, qui sont passés de 42 à 6, de 2002 à 2008, ainsi que la limitation du nombre de prises, n’a pas freiné le déclin des prélèvements qui s’est amorcé au tournant des années 2000.

L’abattage des cormorans, un prédateur qui consomme plusieurs tonnes de jeunes perchaudes, avait donné des résultats en 2012-2013. Selon les données obtenues grâce à la Loi d’accès à l’information, leur population était passée de près de 600 à un peu moins de 200 individus.

 

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