S’écouter pour mieux manger

Janvier est une période propice pour proposer de nouveaux régimes et diètes strictes en misant sur la culpabilité des repas copieux du temps des Fêtes. Plutôt que d’entamer un processus de restrictions alimentaires qui pourrait mener à un regain pondéral ou à un trouble alimentaire, le Groupe de recherche Loricorps de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) propose plutôt une approche intuitive de l’alimentation. Le principe de base:  rejeter les interdits alimentaires et se reconnecter aux besoins du corps.

L’alimentation intuitive est une approche qui se base sur les signes internes du corps (faim, satiété) pour guider l’alimentation, autant dans les choix d’aliments que dans les quantités, plutôt que sur les facteurs externes, comme les régimes, les règles alimentaires, les horaires de repas, les croyances en lien avec les valeurs nutritives des aliments.

« Boire et manger, c’est complexe, mentionne Johana Monthuy-Blanc, responsable du Groupe de recherche Loricorps. Ce qui a beaucoup de sens sur le plan théorique se fait rapidement happer par la réalité humaine. »

Des bénéfices psychologiques importants

Pourquoi opter pour l’alimentation intuitive plutôt que pour une diète stricte? Parce que selon Mme Monthuy-Blanc, on ne peut pas savoir comment notre corps va réagir à la restriction alimentaire. « Certaines personnes vulnérables à la restriction alimentaire vont ensuite perdre le contrôle, que ce soit sur le plan pondéral ou sur le plan de la confiance en soi », estime la chercheuse.

« Il faut se sortir du cercle vicieux des diètes, car la restriction mène à la compulsion, ajoute Émie Therrien, membre du Groupe de recherche Loricorps. Il y a une limite de temps durant laquelle une personne pourra se restreindre. Dès que la restriction arrête, la compulsion va suivre avec un sentiment d’échec qui va altérer l’estime de soi. L’estime de soi étant écorchée, on voudra aller travailler notre satisfaction corporelle et refaire un autre régime, et ça roule comme ça sans cesse ».

Selon les deux chercheuses, les études démontrent unanimement de grands bénéfices psychologiques chez les personnes pratiquant l’alimentation intuitive : moins de comportements troublés en lien avec l’alimentation, une meilleure satisfaction corporelle, une meilleure estime de soi et une relation plus saine avec la nourriture.

Et qu’en est-il des bénéfices physiques? « Du côté de la santé physique, il n’y a pas d’inconvénient à aller vers l’alimentation intuitive », assure Mme Therrien, brisant ainsi le mythe qu’alimentation intuitive signifie de manger ce qu’on veut quand on veut.

« On parle d’atteindre une satisfaction pour la nutrition bienveillante, donc on ne met pas de côté toutes les notions nutritionnelles qui visent à combler les besoins physiques. Le corps a besoin de certains nutriments pour bien fonctionner, et naturellement, il va nous pousser à manger ce dont on a besoin », ajoute-t-elle.

Bien qu’il s’agisse d’une forme de lâcher-prise, c’en est un psychique et non alimentaire au sens d’excès. « Les études montrent très clairement que chez les gens qui pratiquent l’alimentation intuitive de façon assez complète, il n’y a pas de surplus de poids. Ça veut dire qu’en gros, si on fait confiance à notre corps, il va y avoir une homéostasie, c’est-à-dire une rééquilibration qui va se faire au niveau pondéral », explique Johana Monthuy-Blanc.

Émie Therrien nuance cependant que quelqu’un qui s’est imposé de nombreux interdits alimentaires au cours de sa vie pourrait vivre une période d’adaptation qui passe par l’excès lors de ses premiers pas vers l’alimentation intuitive. « Éventuellement, le fait que les aliments interdits ne le soient plus va diminuer beaucoup leur attrait et les excès vont se modérer. On passe notre vie à détruire notre intuition, alors ce n’est pas un cheminement qui se fait en quelques semaines », dit-elle.

Pourquoi manges-tu?

Si l’être humain en est venu à ne plus écouter les signaux que son corps lui envoie et à vouloir à tout prix contrôler son alimentation, c’est à cause de l’insatisfaction corporelle ainsi qu’à toutes les règles qui se transmettent d’une génération à l’autre.

« Ne serait-ce que de finir son assiette pour avoir du dessert, c’est quelque chose qui est très bien ancré dans la société. Pourtant, ça nous amène à dépasser nos signaux de satiété avant de nous permettre un aliment dont on a envie. La meilleure solution serait de se laisser de la place pour le dessert, s’il nous fait envie », mentionne Émie Therrien.

« L’être humain naît en étant intuitif, capable de réguler par lui-même son alimentation. On donne toujours l’exemple des nourrissons qui sont nourris au sein. On ne voit pas la quantité qu’ils prennent. Ils boivent quand ils ont faim et arrêtent quand ils n’ont plus faim. Personne ne questionne ça en général s’il n’y a pas de problème de santé », poursuit Mme Therrien.

C’est donc à un très jeune âge qu’on nous apprend à ne plus écouter nos signaux de faim et de satiété, mais pas par mauvaise volonté. Réapprendre à se connecter à notre corps est un cheminement qui perdure dans le temps, une quête. « Chez Loricorps, on met l’alimentation intuitive au bout d’un continuum où on retrouve, à l’autre extrémité, l’alimentation pathogène », illustre Johana Monthuy-Blanc.

Le premier pas vers une alimentation intuitive est de prendre conscience de ce qui nous pousse à manger. « Est-ce qu’on mange parce qu’on a faim? Par habitude? Par horaire? Pour faire plaisir à quelqu’un? Parce qu’on vit des émotions? », questionne Mme Therrien.

Petite mise en garde des deux chercheuses : on ne peut pas être un mangeur intuitif de tous les instants! Il ne faut pas que l’alimentation intuitive devienne une nouvelle règle et qu’on se tape sur la tête lorsque l’on considère que l’on n’a pas été un mangeur intuitif.

L’iceberg du trouble de comportement alimentaire (TCA)

La partie visible de l’iceberg (apex), c’est 6% des TCA, soit les formes extrêmes (1% anorexie et alimentation restrictive, 2% boulimie et alimentation émotionnelle, et 3% trouble d’accès hyperphagique et suralimentation). Caché sous la surface de l’eau, on retrouve 47% des personnes vivant avec un spectre plus ou moins différent de TCA.

Chez Loricorps, c’est avec la partie cachée de l’iceberg qu’on travaille afin de faire en sorte qu’elle ne se dirige pas vers l’apex. « À l’heure actuelle, il n’y a que 30% de réussite après une intervention et il y a une personne sur deux qui chute après une intervention. Le pronostic est assez négatif », révèle Mme Monthuy-Blanc.

Les deux chercheurs estiment que cette partie cachée de l’iceberg a été frappée de plein fouet par le confinement pandémique pour deux raisons. Tout d’abord, les gens qui avaient peur de ne pas avoir assez d’aliments ont fait des réserves et ont dû vivre avec beaucoup de nourriture facilement accessible. Le second coupable est la visioconférence qui a confronté les gens à la projection de leur image à longueur de journée. Le résultat de leur étude est paru en décembre dernier dans la revue Frontiers in Psychology.