Intimidation: la détresse des parents

Il y avait longtemps que je n’avais pas enlevé mon chapeau de journaliste pour vous confier mes pensées. J’ai toutefois reçu un appel qui m‘a troublé cette semaine au bureau. Ce n’était pas une invitation à une conférence de presse, ni même une primeur qu’on me livrait sur un plateau d‘argent. C’était l’appel déchirant d’une mère dépassée devant l’inaction qui entoure encore les gestes d’intimidation à l‘école. Après avoir tout tenté, elle a contacté le média local. Que pouvais-je faire? De l’intimidation dans une école primaire, ce n’est pas une «nouvelle», c’est la triste routine de plusieurs extravagants. C’est la routine de jeunes qui ont décidé que le mot «cool» ne se définissait pas selon les standards du grand baraqué assis à l’arrière de l’autobus.

Ça peut paraître surprenant, mais j’ai reçu quelques appels de ce genre depuis mon arrivée en poste à L’Écho de Maskinongé.

Sans pouvoir écrire un article conventionnel, je désirais contribuer à ma façon: sensibiliser par la force de mon encre…

Le fond de l‘histoire qui suit est empreint de vérité. Il est tiré des témoignages de parents en détresse qui m’ont interpellé, dépourvus devant une pareille situation. Les noms et les faits ont été modifiés pour préserver l’anonymat des élèves.

Le périple de Tom

Tom commence l’école en première année, son contact initial avec l’institution du savoir est bon. Tom aime apprendre, il se forge rapidement une réputation de premier de classe. Il n’a pas le profil de l’intello typique à lunettes. Il est même plutôt doué dans les sports, particulièrement au baseball. Sans être antisocial, il n’a pas besoin de plusieurs amis autour de lui pour être heureux; un ou deux «vrais» copains lui suffisent.

Son cheminement scolaire est à peine amorcé qu’il réalise, à sa façon, que le rêve utopique de Charlemagne comporte des failles. Pour lui, cette faille se nomme Enzo Malajoie, un élève de sa classe.

Enzo n’est pas un enfant méchant, mais il n’aime pas l’école. Après quelques minutes à écouter parler madame Nathalie, il se met à rêver à la prochaine récréation. Il a hâte de jouer au ballon chasseur. Lorsque madame Nathalie lui pose une question de mathématiques, il est piégé, aux prises avec sa rêvasserie. Ça le blesse dans son estime. Il envie ce Tom «qui sait tout» assis dans la deuxième rangée, madame Nathalie semble l’affectionner particulièrement celui-là. Lorsqu’enfin la cloche sonne, Enzo est le premier à sortir, il court récupérer un ballon auprès du surveillant. En revenant vers le terrain de jeux, il croise le fameux Tom «qui sait tout». Enzo décide de se défouler en lui faisant une jambette, une bénigne petite jambette. Le calvaire de Tom commence…

Ne comprenant pas cette violence gratuite, Tom se relève et bouscule à son tour Enzo. Le surveillant aperçoit le geste de Tom et le réprimande. Enzo s’en sort, fier de ne pas s’être fait surprendre. Tom, dupé, se promet qu’on ne le coincera plus.

Les jours passent, Enzo obtient de premiers résultats décevants et il a un comportement moyen dans sa classe. Il occupe son temps à chercher les blagues qui feront rire ses camarades pendant les cours, plutôt que les réponses formelles aux questions qu’on lui pose. Sa bravoure et sa vivacité d’esprit lui procurent l’admiration de quelques moutons. Enfin, Enzo a trouvé une façon d’«aimer» l’école!

Quand l’enseignante d’Enzo rencontre ses parents pour leur relater l’attitude générale de leur fils, les Malajoie se montrent compréhensifs. Toutefois, quand les gestes deviennent plus graves et les notes moins bonnes, le personnel scolaire est confronté à cette réponse répétitive des parents d’Enzo: «Oui, mais, c’est à l’école qu’il a des problèmes, c’est donc à l’école de régler ses problèmes.»

Quand Enzo rentre le soir, il a eu peu de conséquences aux gestes qu’il a posés. Pour leur part, les parents croient que l’école c’est l’école et la maison c’est la maison. De toute façon, le père d’Enzo travaille trop pour se mêler de ce qui se passe et sa mère l’aime trop pour le punir.

La première année se termine difficilement pour Enzo, mais on décide de lui donner une «chance», même s’il n’obtient pas de bons résultats. On juge qu’il serait mauvais pour son développement d’échouer dès sa première année.

En deuxième année, Tom devient vraiment la tête de Turc d’Enzo.

En troisième année, Tom a une peur lancinante de l’école qu’il affectionnait. On lui a appris qu’il fallait dénoncer les agressions plutôt que de répliquer à la violence. Mais quand il signale les gestes de son agresseur, Enzo se fâche davantage et les conséquences sont encore pires.

À deux reprises au cours de l’année, la mère de Tom rencontre la direction pour lui parler du problème. On assoit les deux enfants aux extrémités de la classe. La nouvelle enseignante d’Enzo l’oblige même à serrer la main de Tom et à signer un contrat de respect. La situation se résorbe un peu, mais le naturel ne tarde pas à revenir au galop. Dépassée par les évènements, la mère de Tom entame des démarches pour rencontrer les parents d’Enzo. Quand enfin, elle obtient ce qu’elle veut, elle reste de glace face à la réaction des géniteurs du jeune assaillant: «Nous, on ne peut rien faire, c’est à l’école de régler ses problèmes. De toute façon, Enzo n’est pas si pire que ça.»

La violence franchit un nouveau pas pendant un cours d’éducation physique. Tom se démarque particulièrement ce jour-là, alors que l’enseignant apprend aux élèves à jouer au baseball. Évidemment, Tom et Enzo sont dans deux équipes différentes. Quand Tom s’amène au bâton, il s’élance avec vélocité, la balle va très loin, il court de toutes ses forces à l’intérieur du losange, il va y arriver, il le sait, il atteint le troisième but avec succès et poursuit sa croisade vers le marbre, le relais arrive en retard, il est sauf! C’est un coup de circuit! «Yeah!» s’exclame-t-il en fêtant avec ses coéquipiers. Enzo est fâché d’avoir vu Tom réussir un si beau jeu et s’empresse d’aller le retrouver. «Je n’aime pas ça quand je perds. Alors, ne célèbre pas quand tu marques des points», lui dit-il.

Plus tard dans la partie, c’est au tour d’Enzo de frapper un coup de circuit. Il ne se gêne pas pour manifester exagérément sa joie. Tom, lui fait savoir que ce qui vaut pour l’un vaut aussi pour l’autre. Ne sachant quoi répondre, Enzo s’empare du bâton de baseball et enfonce un violent coup dans le ventre de Tom. Ce dernier s’effondre et Enzo est expulsé de la classe.

Cette fois, la mère de Tom en a assez, elle décide d’appeler la Sûreté du Québec, après tout, il s’agit d’une agression brutale. On lui répond que c’est à l’école de gérer ce genre de problème, qui plus est, les deux jeunes hommes ont moins de 12 ans.

Au moment d’écrire ces lignes, le quotidien de Tom est un enfer. Il vit dans la crainte d’aller à l‘école. Pourtant, il n’est qu’au début du parcours.

Si Marc Favreau (Sol) était vivant, il dirait peut-être qu’on réplique à l’intimidation par «unetimidaction». Probablement que si tout le monde en faisait un peu plus pour aider Tom, je n’aurais pas besoin d’enlever mon chapeau de journaliste pour vous livrer cette chronique aujourd’hui.

 

 

merci à photolibre