Trente ans sans coupe Stanley: une situation impensable pour les anciens Glorieux

MONTRÉAL — Quand Guy Carbonneau est devenu le premier joueur à recevoir la coupe Stanley des mains du nouveau commissaire de la LNH Gary Bettman le 9 juin 1993, il n’aurait jamais imaginé qu’aucun autre capitaine du Canadien de Montréal n’aurait suivi ses pas 30 ans plus tard.

Avant cette longue disette, la plus longue séquence du prestigieux Club de hockey canadien sans conquête de la coupe Stanley était de 13 ans, entre les triomphes de 1931 et 1944. Aujourd’hui, il est difficile de prédire quand le Canadien pourra organiser son prochain défilé sur la rue Sainte-Catherine.

«Aujourd’hui, la barre est très basse quand on compare avec notre époque, a raconté Serge Savard, qui a soulevé la coupe Stanley huit fois comme joueur et deux fois comme directeur général, dont en 1993. On nous demandait avant la saison si nous allions gagner la coupe. Maintenant, on se demande si le Canadien va participer aux séries. On ne parle pas de la coupe en début de saison.

«Une équipe qui n’a pas gagné de coupe en 30 ans, c’est arrivé à plusieurs équipes. Mais avec le Canadien, nous ne sommes pas habitués à ça», a-t-il ajouté lors d’un entretien avec La Presse Canadienne.

Carbonneau admet qu’il n’aurait jamais pu penser à l’été 1993 que Montréal serait privée de championnat pendant les trois décennies suivantes. 

«Tout le monde comprend que la ligue est différente aujourd’hui, a souligné Carbonneau, qui a gagné la coupe Stanley en 1986 et en 1993 avec le Tricolore, puis avec les Stars de Dallas en 1999. Il y a plus d’équipes et c’est quand même difficile de se qualifier pour les séries. Mais oui, c’est difficile de voir que le Canadien n’a pas gagné la coupe depuis 1993.»

En plus de l’expansion de la LNH, tous les observateurs interrogés au sujet de la disette du Tricolore ont aussi parlé de l’instauration du plafond salarial en 2005 comme d’un facteur expliquant la disette actuelle du Canadien.

«J’ai joué à la fin de la période avant le plafond salarial. Si une équipe avait besoin d’aller chercher un ailier gauche, ce n’était pas grave s’il coûtait neuf millions de dollars puisqu’il n’y avait pas de restrictions, a rappelé Carbonneau. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus compliqué. Ça menotte des équipes dans leur construction et la fenêtre pour viser un championnat est plus petite. 

«Avant 2010, on pouvait s’imaginer une fenêtre de 10 ans pour une bonne équipe. Aujourd’hui, c’est impensable», a-t-il ajouté.

Une pression moins forte?

La nouvelle direction du Canadien, menée par le vice-président aux opérations hockey Jeff Gorton et le directeur général Kent Hughes, n’a pas caché son intention de repartir à neuf et l’accent avait clairement été mis sur le développement des joueurs au cours de la dernière campagne.

La majorité des partisans a semblé accepter cette approche, croyant qu’elle est la bonne pour ramener le Tricolore parmi les équipes de tête dans la LNH. Et même si Savard a exprimé sa confiance envers Gorton et Hughes, il a admis avoir ressenti un certain malaise lors de ses visites au Centre Bell cet hiver.

«J’ai vu un phénomène que je n’avais jamais vu auparavant, a-t-il raconté. Les fois où j’étais là et que le Canadien a perdu, je voyais presque des sourires. Je ne voyais pas du monde très déçu. C’était comme si tout le monde était convaincu que si on perdait, on était assuré d’avoir le petit (Connor) Bedard. Donc, le monde n’était pas déçu d’une défaite.»

Le Canadien n’a toutefois pas gagné la loterie de la LNH et ne pourra pas sélectionner Bedard au premier rang du prochain repêchage.

Carbonneau a observé le même phénomène que Savard, mais il croit que la patience des partisans aura quand même des limites.

«Je sens qu’avec la nouvelle direction, l’équipe, les joueurs et l’organisation ont un petit sursis, a-t-il affirmé. Je ne suis pas certain que les partisans vont être prêts à attendre durant deux ou trois autres années. J’ose croire qu’après peut-être une autre année de développement, le Canadien sera dans le groupe qui pourra se battre pour la coupe Stanley.»

Rafaël Harvey-Pinard est né en 1999 et n’a donc jamais vu le Canadien remporter les grands honneurs, même s’il est familier avec l’histoire du club grâce aux récits de son père. Ses premiers souvenirs remontent au printemps 2006, quand le Canadien avait été éliminé dès le premier tour par les Hurricanes de la Caroline, qui allaient éventuellement vaincre les Oilers d’Edmonton en finale.

Le natif d’Arvida, au Saguenay, reconnaît qu’il n’y a pas eu beaucoup de discussions concernant les espoirs de l’équipe de gagner la coupe Stanley durant son séjour avec le grand club cet hiver.

«Dans le contexte où nous nous retrouvions, c’était déjà difficile de s’imaginer participer aux séries, a souligné Harvey-Pinard, qui a été rappelé vers la mi-janvier. Si nous avions été dans la course aux séries, probablement que la coupe Stanley et la longue disette auraient été mentionnées un peu plus souvent.»

La force du talent local

Le Canadien avait connu un parcours magique lors du printemps 1993. 

Inspiré par Jacques Demers derrière le banc et transporté par les performances de Patrick Roy devant le filet, le groupe a gagné 11 matchs de suite après avoir encaissé des défaites à ses deux premières sorties contre les Nordiques de Québec. Le Tricolore s’est également imposé 10 fois en prolongation et a facilement disposé de Wayne Gretzky et des Kings de Los Angeles en cinq parties en finale.

«Nous avions une bonne équipe, mais le déclic s’est fait et nous avions une confiance inébranlable», a mentionné Carbonneau. 

En tout, 14 joueurs québécois ont vu leur nom être gravé sur la coupe Stanley en 1993. 

Harvey-Pinard a été l’un des neuf joueurs natifs du Québec à enfiler l’uniforme du Canadien cette saison, le plus haut total depuis 2006.

«J’aimerais ça, a répondu Carbonneau lorsque questionné à savoir si le Canadien devrait compter sur plus de Québécois dans ses rangs. On dit que c’est difficile pour un Québécois de jouer à Montréal, mais pour nous, il n’y avait pas juste Patrick Roy. Il y avait Roy, moi, Denis Savard, Vincent Damphousse, Éric Desjardins, et plusieurs autres. La pression était partagée.

«Je suis l’un de ceux qui croient que ça pourrait aider le niveau de l’équipe d’avoir plus de Québécois. Mais d’avoir 20 Québécois qui ne sont pas bons, ça ne donne rien non plus», a-t-il nuancé.

Harvey-Pinard s’est épanoui chez le Canadien cet hiver avec notamment 14 buts en seulement 34 matchs. Alex Belzile a aussi connu de bons moments à sa première longue séquence dans la LNH à l’âge de 31 ans. Le gardien Samuel Montembeault a démontré un potentiel inattendu.

«Je suis convaincu qu’un joueur local va offrir une meilleure performance puisqu’il a une pression supplémentaire», a insisté Savard, après avoir cité l’éclosion de Harvey-Pinard comme exemple d’un joueur local qui se dépasse grâce à cette pression.

Une fierté écorchée

Non seulement le Canadien n’a pas gagné la coupe Stanley depuis 1993, mais l’ensemble des équipes canadiennes de la LNH est en panne sèche depuis ce triomphe.

Elles ont participé seulement six fois à la finale au cours de cette disette, plus récemment en 2021 quand le Canadien s’est incliné en cinq parties face au Lightning de Tampa Bay.

«Le hockey est notre sport national, a rappelé Savard. C’est un peu comme avec l’Italie qui a été exclue de la dernière Coupe du monde. C’était un déshonneur pour les Italiens et ils souhaitaient des changements de A à Z dans l’administration de l’équipe. 

«Nous, le hockey, c’est un peu ça, a-t-il enchaîné. C’est notre sport. De voir qu’il n’y a pas une équipe canadienne qui n’a pas gagné la coupe Stanley depuis 30 ans, pas seulement le Canadien, je trouve ça pénible.»

Mais malgré cette longue traversée du désert des équipes canadiennes, la LNH n’a jamais généré autant de revenus et le Canadien a conservé sa place privilégiée dans le coeur des amateurs de sport montréalais et québécois.