Le mirage des maternelles 4 ans

LETTRE OUVERTE

Avertissement : puisque la très grande majorité du personnel travaillant avec les enfants préscolaire sont des femmes, nous utiliseront le féminin lorsque nous ferons référence aux éducatrices ou aux enseignantes.  Ces termes incluront le personnel masculin.

Lors des dernières élections, le chef de la CAQ, M. François Legault, a fait la promesse d’améliorer les performances académiques des jeunes québécois.  Sa solution : les maternelles 4 ans.  En soi, l’objectif est très louable.  Il se base sur un principe depuis longtemps démontré par les spécialistes en ce domaine : tout se joue avant 5 ans.  Nous sommes entièrement d’accord avec l’objectif de donner des chances égales à tous, dès le plus jeune âge. Il est souhaitable que le Québec améliore ses outils pour dépister les problèmes d’apprentissage avant le début de la scolarisation.

Mais le gouvernement Legault s’apprête  à mettre en place une mesure dénoncée par tous. Dans sa hâte de réaliser sa promesse électorale, M. Legault s’acharne à mettre en place une solution calquée sur le modèle ontarien plutôt que de prendre le temps de mesurer les avantages réels des CPE québécois et d’entendre les spécialistes qui recommandent d’investir dans les services existants au lieu  de créer de nouveaux services.

Des services enviables sont déjà présents au Québec

Au cours des dernières décennies, le Québec s’est doté de services de garde éducatifs destinés aux enfants de 5 ans et moins.  Les CPE font l’envie de plusieurs provinces et de plusieurs pays dans le monde.  Ces services se sont d’abord développés par la volonté de groupes de parents, désireux d’offrir à leurs enfants un milieu de vie de qualité.  Ce modèle ayant fait ses preuves, il s’est développé au point de devenir les CPE  que nous connaissons aujourd’hui.  La qualité des services offerts par les CPE est connue et reconnue.

Le seul reproche fait  aux CPE est le manque de places.  Cette situation est due au fait qu’aucun gouvernement n’est allé au bout du développement de ce réseau.  Victime de son succès, le nombre de places offertes en CPE est limité par le gouvernement.  Encore aujourd’hui, on entend les parents se plaindre de ne pas avoir accès à une place en CPE.  Les dernières années n’ont pas amélioré la situation puisque le gouvernement libéral a créé des obstacles à la création de nouvelles places en modifiant dramatiquement le mode de financement, obligeant ces organisations à but non lucratif à financer une plus grande part (50% des coûts) de leur développement, tout coupant leur subvention.  Rappelons-nous que les CPE ont également fait les frais des mesures d’austérité du gouvernement libéral, les obligeant souvent à couper les ressources professionnelles et de soutien pédagogique dont ils s’étaient dotés.

Malgré tout, le réseau des CPE est déjà présent sur le terrain afin de répondre aux objectifs de stimulation précoce et de dépistage préconisés par M. Legault.  Il suffit d’accorder à ce réseau les mêmes ressources que le gouvernement s’apprête à mettre dans le développement des  maternelles 4 ans, afin de compléter le développement du réseau des CPE et de leur donner  les mêmes ressources de dépistage promis pour les maternelles 4 ans.

En bon gestionnaire expérimenté, M. Legault devrait reconnaître que les CPE peuvent répondre plus rapidement et simplement à l’atteinte de ses objectifs,  sans grand bouleversement, sans construction à la hâte de classes préfabriquées et sans course pour trouver ou former des enseignantes spécifiquement dédiées à cette clientèle.

Pourquoi le réseau des CPE est-il mieux placé au Québec pour répondre aux objectifs de M.Legault?

Dans les CPE, le ratio est un (1) adulte pour dix (10) enfants alors qu’il est de un (1)  adulte pour  (dix-sept) enfants dans les maternelles 4 ans; presque le double d’enfants par adulte.  Il est bien connu qu’il est plus facile d’offrir une attention individuelle lorsque  le nombre d’enfants par classe est plus petit.

Dans un CPE, la même éducatrice passe la journée avec son groupe d’enfants alors que l’enseignante passe cinq (5) heures avec sa classe de maternelle.  En matinée, au dîner et en fin de journée, l’enfant inscrit en maternelle 4 ans fréquente un service de garde scolaire, sous la responsabilité d’une autre adulte que son enseignante.

En juin, l’école ferme pour l’été alors que le CPE accueille les enfants pendant toute la période estivale.  Si tous les enfants du Québec se retrouvent en maternelle 4 ans, où iront-ils l’été venu?  Avec tout le respect que je dois au camp de jour ou au camp de vacances, ils sont souvent mal adaptés pour recevoir les enfants de 4 ans.   Le personnel (majoritairement des emplois pour étudiants) est mal préparé pour offrir un suivi aux enfants dans le besoin et un service éducatif.

Au CPE, le dépistage commence plus tôt.  Le CPE apprend à connaître l’enfant alors qu’il a 3, 2 ou même 1 an.  Ce dépistage précoce facilite l’intervention sur une plus longue période et une action plus rapide dès qu’un problème est détecté.  Nul besoin d’attendre qu’il ait 4 ans.

Les éducatrices en service de garde sont spécialisées dans le développement des enfants de moins de 5 ans.  Elles ont une formation collégiale de 3 ans.  Si on leur donne les ressources de spécialistes que le gouvernement de la CAQ veut octroyer aux maternelles 4 ans, elles réaliseront des miracles auprès de nos petits.

Les parents ont un rôle primordial à jouer dans le dépistage et dans le soutien de leur enfant.   Le programme éducatif des CPE le mentionne en toute lettre : « Le parent est le premier éducateur de son enfant ».  C’est pourquoi les CPE établissent une communication quotidienne avec les parents.   Les problèmes sont donc décelés plus rapidement.  Nul besoin d’attendre la soirée parents /prof pour discuter pendant un maximum de 10 minutes avec l’enseignante de son enfant.

Retarder la corvée des lunchs.  Ça peut sembler anodin à première vue, mais j’invite les parents à penser à la corvée des lunchs.  La corvée de les faire, et celle, pour l’enfant, de commencer à se nourrir de lunchs tous les jours, pour toute sa vie, dès le jeune  âge de 4 ans.   En CPE, un repas équilibré et complet est servi tous les jours.  Nul besoin de se casser la tête tous les matins.

Bien sûr, cette liste d’avantages pourrait être encore plus exhaustive.   Pensons aux jeux extérieurs :   récréation vs des matinées à jouer dehors.  Pensons aux horaires stricts vs le temps de jouer et d’arriver au CPE un peu plus tard. Laissons les enfants être des enfants.   À  4 ans, l’enfant a besoin qu’on le prépare à l’école, pas qu’on lui fasse la classe.  Il a besoin qu’on lui donne le goût d’apprendre et de découvrir le monde par le jeu.

Tel que indiqué plus haut, les CPE sont déjà en place et peuvent répondre  efficacement aux objectifs de dépistage et de stimulation prônés par François Legault.  Il suffit de permettre aux CPE d’avoir accès aux mêmes ressources que le gouvernement s’apprête à rendre disponibles aux écoles au lieu de mettre en place le controversé  chantier des maternelles 4 ans.

Je fais appel aux éluEs de la Coalition Avenir Québec; à tous ses députéEs qui connaissent la qualité des services offerts dans nos CPE et comprennent les besoins des enfants et des familles du Québec.  Je demande aux membres du caucus de la CAQ de discuter des objectifs de dépistage et de stimulation pour les enfants de 4 ans et non pas de centrer leurs discussions  sur une seule solution.   La population vous sera reconnaissante de choisir la meilleure option.

 

Simon Piotte

L’auteur était candidat pour Québec Solidaire dans Maskinongé lors des élections d’octobre 2018.  Il travaille depuis plus de 30 ans dans les CPE (garderie), d’abord à titre d’éducateur et maintenant à la direction.  Il est également acériculteur à St-Paulin et président du conseil d’administration qui gère le Camp-De-La-Salle.