Turbines: Trudeau évoque la «militarisation» par Moscou de l’énergie en Europe

OTTAWA — Justin Trudeau a défendu, mercredi, la décision de son gouvernement de restituer six turbines de Gazprom destinées à un pipeline qui achemine du gaz naturel de la Russie vers l’Europe, alors même que le Congrès mondial ukrainien annonce qu’il s’adresse à la Cour fédérale pour contester cette exemption. 

Alors que des sanctions ont été imposées au régime russe, la décision du gouvernement d’accorder à Siemens Canada une exemption pour livrer en Allemagne ces turbines lui a valu une vive réprimande du gouvernement ukrainien et des critiques au Canada. 

L’exemption couvre une période de deux ans et permettrait à Siemens de renvoyer les turbines au Canada pour des réparations et un entretien réguliers.

Le Congrès mondial ukrainien et le Congrès ukrainien canadien ont exhorté le gouvernement fédéral à reconsidérer sa décision de retourner les turbines, qui étaient au Canada pour des réparations déjà prévues.

Lors d’une conférence de presse, mercredi matin à Kingston, en Ontario, M. Trudeau a reconnu que cette décision avait été difficile à prendre. Mais il a expliqué que le gouvernement canadien avait décidé de permettre le retour de l’équipement en réponse aux tentatives de la Russie de militariser l’accès en Europe aux sources d’énergie.

Le premier ministre a indiqué que les sanctions canadiennes contre la Russie visaient le président Vladimir Poutine et «ses acolytes», et non les alliés du Canada qui dépendent du pétrole et du gaz russes.

«Décision difficile»

Le Canada, ses alliés de l’OTAN et d’autres pays ont pris position pour l’Ukraine depuis l’invasion russe, en février, en imposant des sanctions visant le président russe Vladimir Poutine et son entourage.

Mais depuis, l’Allemagne, en particulier, est confrontée à une crise énergétique imminente, car Moscou a riposté contre ses alliés européens en réduisant l’accès à l’approvisionnement en pétrole et en gaz.

Une fois retournées, les turbines seraient utilisées par Gazprom, la société publique russe qui exploite le gazoduc «Nord Stream 1», qui relie le nord-ouest de la Russie au nord-est de l’Allemagne, en passant sous la mer Baltique.

Gazprom, contrôlée par le Kremlin, a réduit de 60 % le mois dernier ses livraisons de gaz naturel via le gazoduc «Nord Stream 1» vers l’Allemagne, invoquant des problèmes techniques liés aux turbines, qui avaient été envoyées à Siemens Energy, à Montréal, pour réparation.

Alors que les pays européens tentent de se sevrer de leur dépendance au pétrole russe, M. Trudeau a déclaré mercredi qu’il était important de garder les citoyens européens solidaires de l’Ukraine.

«C’est pourquoi nous avons pris cette décision difficile d’être là pour nos alliés, pour faire en sorte qu’en Europe, non seulement les gouvernements, mais leurs populations, restent inébranlables et généreux dans leur soutien à l’Ukraine», a-t-il expliqué.

«Dangereux précédent»

Le gouvernement ukrainien affirme pour sa part que la décision du Canada crée un «dangereux précédent», à un moment où la communauté internationale doit faire preuve de détermination et de fermeté face aux menaces russes et à son invasion de l’Ukraine.

Le Congrès mondial ukrainien indique dans un communiqué qu’il a déposé mardi en Cour fédérale un avis de requête pour un examen de la décision d’Ottawa. Dans les documents judiciaires, l’organisme fait valoir que la demande de Gazprom pour ses turbines constitue un «stratagème malhonnête».

«La Russie cherche à miner les sanctions canadiennes et mondiales et utilise la question des turbines pour faire chanter le Canada et l’Europe», indique l’avis de requête. Le Congrès demande donc au tribunal de suspendre l’expédition des turbines et de conclure que la décision du Canada est déraisonnable et constitue un recours illégal aux pouvoirs exécutifs du gouvernement.

Gazprom a mis en doute mercredi la possibilité de rétablir la livraison du gaz sans le retour rapide de ces turbines. Dans un communiqué publié sur Twitter, la société russe a déclaré que «dans ces circonstances, il semble impossible de parvenir à une conclusion objective sur les développements futurs concernant l’exploitation sécuritaire» d’une station de compression à l’extrémité russe du pipeline.

Le gaz russe représentait récemment environ 35 % de l’approvisionnement total de l’Allemagne. En temps normal, le gaz est aussi acheminé vers d’autres pays européens.

Dans son avis de requête, le Congrès mondial ukrainien reconnaît la menace énergétique qui pèse sur l’Allemagne, mais soutient que la décision du Canada manque de transparence et emprunte une pente glissante vers un affaiblissement des sanctions internationales contre la Russie.