Sohier Chaput écope 15 mois de prison pour avoir fomenté la haine contre les Juifs
MONTRÉAL — Gabriel Sohier Chaput, reconnu coupable en janvier d’avoir volontairement fomenté la haine contre les Juifs, a été condamné vendredi à 15 mois de prison et à trois ans de probation.
Sohier Chaput représente un risque continu pour la société parce qu’il n’a pas pris la mesure de la gravité de ses «actes hautement répréhensibles» ni du préjudice qu’ils ont causé, a déclaré, vendredi, à Montréal, le juge Manlio Del Negro de la Cour du Québec.
Selon le magistrat, les années qui se sont écoulées depuis que l’infraction a été commise ne semblent pas avoir ébranlé ses «convictions radicalisées». Et il n’exprime ni regret ni pensée empathique à l’égard de ses victimes pour son acte criminel, affirme le juge.
Sohier Chaput avait été reconnu coupable en janvier dernier. Le juge Del Negro avait estimé qu’un article publié en 2017 sur le site néonazi «Daily Stormer» fomentait la haine contre les Juifs et encourageait les lecteurs «à passer à l’action».
L’accusé contribuait fréquemment à ce site web, écrivant plus de 800 articles pour la publication en ligne nommée d’après l’hebdomadaire de propagande de l’époque nazie «Der Stürmer».
L’accusation et la défense recommandaient une peine de trois mois assortie d’une période de probation. Mais le juge Del Negro avait déjà prévenu en juillet dernier qu’il craignait qu’un emprisonnement de seulement trois mois pour un homme reconnu coupable d’avoir fomenté la haine contre les Juifs pourrait banaliser ce crime.
Il a rejeté la proposition, en imposant plutôt une peine beaucoup plus près du maximum de deux années de prison.
Une peine légère, a-t-il soutenu vendredi, serait contraire à l’intérêt public et minerait la confiance dans le système judiciaire.
Un «influenceur de la haine»
Sohier Chaput avait agi comme un «influenceur de la haine» en partageant ses opinions avec un large public en ligne, a déclaré le juge.
Le tribunal doit envoyer un message clair selon lequel les messages haineux n’ont pas leur place dans le monde, a-t-il affirmé.
Eta Yudin, vice-présidente pour le Québec du Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA), a déclaré que cette décision était «énorme pour tous les Québécois» et «la preuve que le système judiciaire fonctionne».
«Aujourd’hui, le tribunal a envoyé un message très fort selon lequel la promotion et la propagation de la haine ont des conséquences très réelles», a-t-elle déclaré, ajoutant que la peine est particulièrement importante à un moment où les incidents antisémites et les incidents de haine en ligne se multiplient partout dans le monde.
Le résultat envoie le message que «s’asseoir anonymement derrière un clavier et répandre la haine n’est pas un laissez-passer gratuit pour faire ce que vous voulez», a-t-elle déclaré.
Des représentants de plusieurs organisations juives étaient présents dans la salle d’audience vendredi, et on pouvait les voir échanger des sourires occasionnels tandis que le juge dénonçait à plusieurs reprises les actions de Sohier Chaput et critiquait les avocats des deux parties pour avoir proposé conjointement une peine de trois mois.
Sohier Chaput, quant à lui, restait impassible devant le juge, les mains jointes devant lui, au moment où la peine était prononcée. Après l’audience, l’homme de 36 ans a été menotté et emmené hors de la salle d’audience.
Antonio Cabral, l’avocat de Sohier Chaput, s’est dit «très surpris» par la longueur de la peine. Le juge, dit-il, n’a pas pleinement pris en considération tous les efforts déployés par son client pour changer sa vie depuis la publication de l’article.
À l’extérieur de la salle d’audience, l’avocat a fait valoir que son client n’avait commis aucune infraction au cours des six dernières années, et qu’il n’avait pas de casier judiciaire.
La défense fait appel de la condamnation et Me Cabral a déclaré qu’il ferait appel de la sentence au début de la semaine prochaine.
Lors d’une audience d’observations sur la peine en juillet, Sohier Chaput s’est excusé auprès de ceux qu’il avait blessés, affirmant qu’il était «désormais quelqu’un de différent».
Mais le juge Del Negro a déclaré vendredi que les excuses de Sohier Chaput semblaient opportunistes plutôt que sincères et que l’intérêt de l’accusé à suivre une thérapie et à effectuer récemment des travaux d’ordre général semblait viser à gagner les faveurs du tribunal plutôt que de refléter un réel désir de changement.
Le juge a cité un rapport préalable à la condamnation suggérant que Sohier Chaput présentait un risque modéré de récidive en raison de son incapacité à renoncer à son idéologie.
Sohier Chaput a admis qu’il avait rédigé une partie de l’article qui a conduit aux accusations criminelles, mais il a fait valoir que l’article se voulait «humoristique, satirique, ironique» et était destiné à être interprété avec ironie. Le juge Del Negro ne l’a pas cru.
«Même 77 ans après la fin de la Deuxième Guerre mondiale, qu’on persiste encore aujourd’hui à banaliser le rôle qu’a joué le nazisme envers les Juifs lors de l’Holocauste et de continuer à vouloir s’acharner sur eux est profondément choquant», avait déclaré en janvier le juge en rendant son verdict, levant fréquemment les yeux de son texte pour fixer du regard l’accusé.