L’ex-ministre Mendicino craint la «parodie de tribunal» dans les soupçons d’ingérence

OTTAWA — L’ancien ministre fédéral de la Sécurité publique Marco Mendicino craint que le débat public sur la complicité de certains parlementaires dans des ingérences étrangères ne devienne une «parodie de tribunal».

M. Mendicino a déclaré jeudi devant la commission d’enquête publique sur l’ingérence étrangère qu’il était important de suivre la procédure établie par la loi avant de tirer des conclusions hâtives sur la conduite de parlementaires.

Le Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement a déclaré en juin dernier que certains parlementaires seraient «des participants mi-consentants ou volontaires aux efforts d’ingérence des États étrangers» dans la politique canadienne.

L’affirmation sans détour de cet organisme de surveillance du renseignement composé de députés et de sénateurs tenus au secret a suscité une vague d’inquiétudes quant au fait que des personnes volontairement impliquées dans des ingérences étrangères pourraient toujours être actives en politique au Canada.

M. Mendicino, qui a été ministre de la Sécurité publique d’octobre 2021 à juillet 2023, a déclaré jeudi devant la commission que les avis de responsables de la sécurité non partisans devraient être pris en compte si un parlementaire est soupçonné de collaborer avec un adversaire étranger.

M. Mendicino a souligné la nécessité de faire preuve de prudence. «Je suis très inquiet que toute la conversation autour de l’ingérence étrangère et des parlementaires se transforme en une parodie de tribunal qui ne tient que très peu compte du processus de compréhension de la façon dont nous évaluons les renseignements, en particulier compte tenu de leur nature en évolution rapide», a-t-il expliqué jeudi.

Marco Mendicino, député libéral de Toronto, a déclaré que les conseils des responsables de la sécurité non partisans devraient être pris en compte si un parlementaire est soupçonné d’aider un adversaire étranger. Le cas échéant, a-t-il ajouté, l’affaire devrait alors être transmise aux forces de l’ordre.

Nuage de suspicion

La députée néo-démocrate Jenny Kwan a déclaré à l’enquête que le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement (NSICOP) a jeté un nuage de suspicion sur les parlementaires, en particulier les législateurs d’origine chinoise et indienne, car le rapport identifie la Chine et l’Inde comme les principaux auteurs d’ingérence.

Mme Kwan a soutenu que cela expose ces parlementaires à des risques importants, notant qu’elle a été harcelée par des manifestants sur la colline du Parlement qui lui criaient: «Êtes-vous un traître?»

L’élue a reconnu que les informations contenues dans le rapport du NSICOP étaient basées sur des renseignements, et non sur des preuves pouvant être utilisées devant un tribunal.

Toutefois, dans l’intérêt de clarifier les choses, elle a proposé que les parlementaires qui participent semi-volontairement ou involontairement à l’ingérence étrangère soient informés et dûment avertis.

Mme Kwan a suggéré que les parlementaires en question soient appelés à témoigner devant une commission parlementaire fermée et qu’ils aient la possibilité de répondre. Après l’examen, une décision pourrait être prise quant à la meilleure marche à suivre et à la divulgation éventuelle des noms.

En réponse aux questions d’un avocat de Mme Kwan, M. Mendicino a exprimé jeudi ses inquiétudes concernant la proposition. «Le Parlement est, par essence, une atmosphère partisane», a souligné M. Mendicino, ajoutant qu’il faut être prudent lors de la création d’une telle commission «composée d’acteurs partisans».

Il a déclaré qu’avant de «juger hâtivement» la loyauté d’un parlementaire, il est essentiel «que nous soyons méthodiques et que nous soyons fidèles aux exigences de la procédure régulière de la loi et de la Charte avant de tirer des conclusions hâtives».

Marco Mendicino a parlé de l’obtention de l’approbation du Cabinet pour des mesures supplémentaires visant à lutter contre l’ingérence étrangère et de l’élaboration d’une législation, qualifiant cela d’«exercice de rédaction très compliqué, nuancé et précis» entrepris par des experts en politiques et des avocats.

Il a fait remarquer qu’étant donné «la charge émotionnelle de ce sujet», il était important de commencer la législation du bon pied et de consulter d’abord le public, principalement sur la création d’un registre de transparence de l’influence étrangère. Certains Canadiens craignaient d’être «potentiellement stigmatisés ou stéréotypés» et que la législation puisse aller trop loin.

De plus, a continué le député libéral, le gouvernement est aux prises avec une vague de problèmes sans précédent, notamment la pandémie de COVID-19, les manifestations du «convoi de la liberté», l’invasion de l’Ukraine par la Russie et les fuites d’informations sur l’ingérence étrangère dans les médias.

Plus tôt cette année, bien après que M. Mendicino ait quitté le portefeuille de la Sécurité publique, le Parlement a approuvé le projet de loi C-70, qui comprend un registre de l’influence étrangère et plusieurs autres outils pour lutter contre l’ingérence. Le processus de transformation d’un mémorandum au Cabinet en loi «n’a pas été facile, mais je suis très heureux qu’il soit désormais une loi», a dit l’élu.

Retard

La commission a appris qu’au début de 2021, il avait fallu 54 jours pour qu’une demande de mandat du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) soit approuvée par Bill Blair, qui a précédé M. Mendicino au poste de ministre de la Sécurité publique. Le délai moyen de traitement de telles demandes est de quatre à dix jours.

L’enquête a étudié les raisons possibles du retard. M. Blair devrait être interrogé sur la question lorsqu’il comparaîtra devant la commission vendredi.

Marco Mendicino a affirmé que l’examen des demandes de mandat avait été priorisé pendant son mandat. «Lorsqu’elles sont arrivées, elles ont été déposées sur mon bureau sans délai indu, et je me suis assuré de prendre le temps nécessaire pour les lire et (poser les questions pertinentes)», a-t-il assuré.

Il a ajouté qu’il était conscient des enjeux en termes de sécurité nationale et de ceux qui travaillent à la protéger. Il a indiqué qu’il était également conscient des exigences de la Cour fédérale selon lesquelles les demandes de mandat doivent être complètes et exactes. «Ce n’était pas un travail facile, et ce n’était pas un travail qui pouvait être bâclé, mais c’était une priorité absolue pendant mon mandat de ministre de la Sécurité publique.»

La ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, a déclaré à la commission d’enquête jeudi qu’après avoir lu un épisode dans le journal en mai dernier, elle avait pris des mesures pour améliorer le flux de renseignements vers son bureau sur l’ingérence étrangère au Canada. «J’ai pu voir que je n’y avais pas accès», a-t-elle dit lors de sa comparution.

Une fuite de renseignements dans les médias à l’époque a allégué que Zhao Wei, un diplomate chinois au Canada, s’était livré à une ingérence. Un résumé de l’entrevue à huis clos de Mme Joly avec la commission en juillet 2024 indique qu’elle n’avait «auparavant pas été au courant de ces renseignements» et a immédiatement demandé des informations au SCRS sur la question.

Zhao Wei a finalement été expulsé du Canada.