Les pédiatres révisent leurs recommandations sur le temps d’écran des tout-petits

TORONTO — La Société canadienne de pédiatrie a abandonné sa directive d’il y a cinq ans qui limitait le «temps d’écran» pour les tout-petits et les enfants d’âge préscolaire: elle encourage plutôt les parents à accorder la priorité aux émissions éducatives, interactives et adaptées à l’âge. 

Dans de nouvelles directives publiées jeudi, la Société canadienne de pédiatrie déconseille toujours de laisser les enfants de moins de deux ans passer du temps devant des écrans, sauf pour bavarder «avec des adultes bienveillants», comme placoter avec les grands-parents. 

Pour les enfants de deux à cinq ans, les parents devraient limiter le temps d’écran régulier ou «sédentaire» à un maximum d’une heure par jour. 

Mais la recommandation précédente de la Société canadienne de pédiatrie, qui fixait un plafond ferme d’une heure par jour pour ces enfants de deux à cinq ans, a été assouplie pour conseiller maintenant des «formes interactives» d’utilisation, comme des émissions éducatives et des soirées cinéma en famille, explique la pédiatre Janice Heard, de Calgary, membre du groupe de travail sur la santé numérique à la Société canadienne de pédiatrie.

La docteure Heard soutient que les parents feraient mieux de réduire l’utilisation passive des écrans et mettre l’accent sur l’utilisation familiale et commune, tout en donnant l’exemple d’une saine utilisation.

«La meilleure chose qu’ils puissent faire pour leur enfant est d’interagir avec eux en tête-à-tête, s’ils le peuvent», déclare la pédiatre, bien consciente que les confinements pandémiques ont probablement inversé les initiatives antérieures visant à freiner l’utilisation des écrans parmi les différents groupes d’âge.

«Ensuite, les enfants réduiront naturellement le temps que leurs enfants à eux passent sur les écrans lorsqu’ils reconnaîtront que ça ne leur apprend rien, que ça ne les aide pas d’une manière particulière. Et pour les très jeunes enfants, c’est en fait assez nocif.»

La docteure Heard admet que les écrans en eux-mêmes ne sont pas mauvais, mais ils remplacent des activités essentielles au développement de l’enfant. Ainsi, l’utilisation excessive d’écrans pour les jeunes enfants peut interférer avec le développement du langage et le comportement social, selon elle. 

Les nouvelles directives mettent l’accent sur quatre principes: limiter le temps d’écran, en atténuer les risques, utiliser les écrans en pleine conscience et donner l’exemple d’une saine utilisation.

Mais c’est l’abandon des limites recommandées qui, espère Mme Heard, encouragera les parents à établir eux-mêmes des limites à la consommation passive et à examiner quand, comment et pourquoi ils autorisent l’utilisation d’écrans pour les jeunes enfants.

Et selon la docteure Heard, les mêmes principes peuvent être extrapolés aux enfants plus âgés et même aux adolescents, pour lesquels la Société de pédiatrie avait publié des directives similaires en 2019: on encourageait de fixer des limites basées sur chaque enfant, sans directives générales.

Stressant pour les parents

Les limites recommandées par la Société canadienne de pédiatrie sont depuis longtemps une source de stress pour de nombreuses familles, qui ne savent pas ce qui est acceptable, déclare Natalie Coulter, directrice de l’Institut de recherche sur la littératie numérique à l’Université York, à Toronto.

«Ça suppose qu’il est facile de déterminer ce qui est bien et ce qui l’est moins, mais même essayer (de définir) ce qu’est un ‘écran’ devient plus difficile», estime Mme Coulter, professeure agrégée en communication et études des médias.

«Il y a maintenant une ligne très floue entre le monde réel et le monde numérique, il n’y a plus de définition claire. Si vous allez à l’école par l’entremise d’un écran, est-ce que c’est considéré comme du temps d’écran?»

La professeure Coulter fait partie d’un groupe de recherche qui a interrogé des parents d’enfants de quatre à 12 ans sur l’utilisation des écrans pendant la pandémie. L’étude comprend 15 familles au Canada, et d’autres en Australie, en Colombie, en Corée du Sud, au Royaume-Uni, en Chine et aux États-Unis.

Le stress face à la manière de respecter les recommandations de temps d’écran était un thème récurrent chez les parents interrogés, dit-elle, et la notion même de limites imposées est aujourd’hui dépassée. «Les parents subissent tellement de pression et tellement de culpabilité. C’est un peu irréaliste et ça ne fait qu’ajouter à une sorte de sentiment parental de ne pas être assez bon», explique Mme Coulter.

«J’ai deux filles (et) j’ai du mal avec ça, ce n’est pas comme si j’avais des réponses brillantes. Mais je pense que, comme pour tout, dès que vous posez des règles binaires très strictes, ça clôt un peu le dialogue.»

Les nouvelles directives encouragent également les pédiatres à discuter de l’utilisation des écrans lors des consultations de routine — la docteure Heard s’inquiète du fait que trop peu de familles avec lesquelles elle a parlé semblent être conscientes des risques liés aux écrans.

«Je leur poserais la question: combien de temps d’écran votre enfant a-t-il? Ils me répondront: ‘Oh, eh bien: probablement une heure avant l’école, quelques heures après l’école, puis le soir… et ils ont la télévision dans leur chambre’. Et je me dirai: Aie, aie, aie, on n’a pas fait un très bon travail d’éducation auprès de nos jeunes parents.»

Même de petits changements peuvent avoir un effet important sur les familles désireuses de limiter l’utilisation des écrans, dit-elle: prévoir des moments de la journée et des zones sans écran à la maison, ou même ouvrir un livre ou faire du bricolage. 

«À la Société canadienne de pédiatrie, on est tous parents, nous aussi. On comprend. On veut pouvoir donner aux gens des choses concrètes qu’ils peuvent faire et qui feront une différence qui ne chamboulera pas complètement toute leur vie.»