Les libéraux perdent leur bataille pour évacuer la Charte de la langue française

OTTAWA — Les libéraux ont accumulé les échecs vendredi alors que les oppositions les ont empêchés de faire retirer toute référence à la Charte de la langue française du projet de loi C-13 qui vise à moderniser la loi sur les langues officielles et que trois amendements demandés par le gouvernement du Québec ont été adoptés, dont deux sans leur appui.

«Au cours des sept années que j’ai passées ici, c’est peut-être le plaidoyer le plus important que j’aie fait au Parlement», a déclaré le député libéral Anthony Housefather, au comité des langues officielles en expliquant que la Charte de la langue française contrevient à l’idée que le gouvernement fédéral devrait offrir des services en français et en anglais partout au pays.

Le député de Mont-Royal tentait alors de faire adopter un amendement au projet de loi parrainé par sa propre formation politique d’évacuer toute référence à cette loi provinciale.

Il a imploré les conservateurs et les néo-démocrates de conserver «la vision historique de tous les partis fédéralistes (depuis) 1968» en défendant toutes les communautés de langue officielle minoritaire plutôt que d’appuyer la vision du Bloc québécois que «la minorité anglophone au Québec n’est pas véritablement une minorité».

À son commentaire voulant que les anglophones ont «peur», le porte-parole du Bloc québécois en matière de langues officielles, Mario Beaulieu, a répondu que les francophones du Québec, eux, «luttent pour leur survie».

«Ce qu’ils (les libéraux) veulent, c’est non pas le droit d’avoir des services en anglais pour les anglophones, a-t-il lancé. Ils présentent comme un droit d’avoir des services en anglais pour les nouveaux arrivants, pour les allophones, pour les angliciser.»

«Québec bashing»

Quelques minutes plus tard, la députée libérale de Saint-Laurent, Emmanuella Lambropoulos, – celle-là même qui avait remis en question le déclin du français au Québec – a témoigné qu’une grand-mère se serait vu refuser d’être servie en anglais chez le médecin après l’adoption de la loi 96.

M. Beaulieu a immédiatement frappé sur la table et levé les bras dans les airs. «C’est inacceptable!, a-t-il pesté. Quant à moi c’est du « Québec bashing ». De laisser entendre que les anglophones ont peur de parler français parce qu’ils vont se faire arrêter par l’Office de la langue française, c’est complètement farfelu.»

Il est à noter que les services de santé dans sa langue sont garantis au Québec.

La députée du Nouveau Parti démocratique, Niki Ashton, dont le vote est souvent décisif, s’est fâchée dans la foulée des échanges. Elle a expliqué ne pas comprendre pourquoi les élus se retrouvent devant «un amendement libéral pour modifier un projet de loi libéral» alors que la ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, répète depuis des mois que son projet de loi est «excellent» et ne nécessite «aucun» changement.

La ministre et le bureau du premier ministre sont-ils en accord avec vous, a-t-elle demandé aux libéraux. «Quelle est la vision du Parti libéral lorsqu’il s’agit de défendre le français au Canada, a-t-elle poursuivi. Parce que ce que je vois ici, c’est aucune véritable vision, aucun véritable plan et beaucoup de jeux politiques.»

Le député Housefather lui a alors répondu que le projet de loi C-13 a été déposé avant l’adoption de la loi 96 au Québec.

Après le vote, les journalistes ont pu observer un échange particulièrement houleux entre M. Housefather et le directeur des affaires parlementaires de la ministre, Matthew Pollesel, à l’extérieur de la salle de comité. M. Pollesel a claqué la porte dans un geste qui ne manquait pas d’éclat, mais l’interaction a été raccourcie abruptement lorsque le député a dû revenir dans la pièce pour un autre vote. Le bureau de la ministre a refusé de commenter ces événements.

Amendements du Québec

Trois amendements demandés par le gouvernement du Québec ont été par la suite déposés par le Bloc québécois. Le premier affirmait que la minorité anglophone du Québec et les minorités francophones des autres provinces ont des besoins différents. Il a reçu un appui unanime.

Les deux autres ont été adoptés avec l’appui des conservateurs, du Bloc et du NPD. Ils ajoutaient respectivement dans C-13 que la Charte de la langue française du Québec «vise à protéger, renforcer et promouvoir cette langue» et «que l’existence d’un foyer francophone majoritaire dans un Québec où l’avenir du français est assuré est un objectif légitime et une prémisse fondamentale du régime fédéral des langues officielles».

Lors de la précédente réunion, mardi, une majorité d’élus siégeant au comité, soit les libéraux et la néo-démocrate, ont refusé d’ajouter au préambule du projet de loi que le français est la «langue commune» du Québec et qu’Ottawa respectera l’aménagement linguistique prévu dans la Charte de la langue française.

Finalement, vendredi, un amendement conservateur pour donner au Conseil du trésor la responsabilité de coordonner la loi, comme le demandait notamment la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, a été adopté avec les votes des oppositions et d’un seul libéral, le Néo-Écossais Darrell Samson.

«Il faut qu’après 50 ans de tergiversations (…) on reflète essentiellement ce que la communauté francophone et même anglophone à travers le Canada désire, d’avoir un conducteur au volant, un pilote dans l’avion, un capitaine dans le navire, exprimez-le comme vous le voudrez, a résumé le député conservateur Bernard Généreux. Ça prend ici à Ottawa quelqu’un qui va être responsable de l’application des langues officielles.»

L’un des moments marquants de l’étude du projet de loi devrait survenir au cours des prochaines semaines lorsque les députés se prononceront sur un amendement visant à assujettir les entreprises privées de compétence fédérale à la Charte de la langue française, comme le réclame le gouvernement du Québec. Il devrait passer étant donné que les oppositions conservatrice, bloquiste et néo-démocrate sont en faveur, et ce, malgré que les libéraux soient contre.