«Je te remercie, Canada», dit Zelensky devant le Parlement

OTTAWA — Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a été accueilli vendredi en véritable héros par une Chambre des communes pleine à craquer de parlementaires l’acclamant à tout rompre, le premier ministre Justin Trudeau profitant de l’occasion pour assurer un soutien continu du Canada à l’Ukraine, et ce, «aussi longtemps qu’il le faudra».

D’emblée, M. Zelensky a statué que l’aide déjà fournie par Ottawa a aidé son peuple «à sauver des milliers et des milliers de vies» dans un discours chaudement applaudi qui a marqué sa première visite en sol canadien depuis l’invasion russe de l’Ukraine.

«Je te remercie, Canada», a-t-il déclaré en français, osant une phrase dans la langue de Molière qu’il n’a pas eu l’occasion d’apprendre.

Dans son habituelle tenue kaki, au 576e jour de guerre, le président a passé le plus clair de son discours en anglais à marteler que le Canada est «toujours du bon côté de l’histoire» et promis que «la liberté» et «la justice» l’emporteront.

Il a notamment exprimé sa gratitude quant au «leadership» d’Ottawa en matière de sanctions contre les élites russes.

Les applaudissements ont ponctué toute son allocution, venant en une dizaine de vagues distinctes alors que le président ukrainien dénonçait le «génocide» perpétré par la Russie.

M. Zelensky croit que la victoire de l’Ukraine qu’il prédit sera aussi attribuable au Canada, en tant qu’allié.

«Pouvons-nous abandonner? Non. (…) Pouvons-nous acquiescer au mal?Non. Pouvons-nous laisser notre identité être effacée? Non. Le Canada et l’Ukraine, nous nous tenons debout et nous nous battons», a-t-il lancé.

«Slava Ukraini!» («gloire à l’Ukraine»), s’est exclamé M. Zelensky en guise de conclusion. Une longue ovation debout a aussitôt résonné dans l’enceinte de la Chambre pendant que le chef d’État serrait la main de nombreux députés.

Ottawa annonce 650 millions $ sur trois ans

M. Zelensky ne sera pas reparti les mains vides, puisque le premier ministre Justin Trudeau a annoncé vendredi une nouvelle aide canadienne de 650 millions $ sur trois ans pour 50 véhicules blindés, y compris des véhicules d’évacuation médicale.

«Nous faisons basculer notre approche afin de fournir une assistance pluriannuelle, assurant que l’Ukraine a le soutien prévisible dont elle a besoin pour un succès à long terme», a déclaré M. Trudeau en point de presse, dévoilant un florilège d’autres mesures.

Parmi celles-ci figure l’envoi, par le Canada, de militaires pour entraîner les forces aériennes ukrainiennes à piloter et à entretenir les F-16 qui leur ont été cédés.

Ottawa a également ajouté 63 individus et entités russes à sa liste de sanctionnés. Cette dernière s’élève a environ 2700 personnes et entités situées en Russie, en Biélorussie et en Moldavie. La première série de sanctions remonte à l’invasion et annexion de la Crimée, en 2014.

Questionné à savoir s’il a l’impression qu’une «fatigue» s’installe quand vient le temps de convaincre certains alliés de continuer d’envoyer de l’argent et des munitions à l’Ukraine, M. Trudeau a répondu qu’il «compren(d) que, dans tous les pays du monde, on fait face à des situations budgétaires de plus en plus complexes».

Il a plaidé, du même souffle, que cela ne devrait pas décourager d’investir dans le soutien au peuple ukrainien puisqu’«on sait que la déstabilisation de l’ordre mondial qui arriverait si la Russie réussissait à renverser l’ordre basé sur les règles aurait un impact économique profond».

Appelé à commenter, M. Zelensky a soutenu en ukrainien «qu’il n’y a pas de point intermédiaire dans cette guerre», selon la traduction simultanée disponible lors du point de presse.

«On soutient soit l’Ukraine, soit la Russie. Si vous ne soutenez pas l’Ukraine, vous renforcez la Russie», a-t-il résumé.

M. Trudeau a eu des mots on ne peut plus chaleureux à l’endroit du président ukrainien dans sa propre allocution en Chambre visant à présenter l’invité de marque.

Le premier ministre canadien a qualifié M. Zelensky d’«inspiration» et de «grand champion» qui mène un «combat pour votre démocratie et votre liberté».

Le président russe Vladimir Poutine, a contrario, «rompt avec la civilisation» et «viole notre humanité commune» dans une démarche visant «à affaiblir la démocratie et à affirmer l’autocratie», a déclaré M. Trudeau.

Il a expliqué que son «plus grand espoir» est que la paix revienne pour les Ukrainiens, mais, a-t-il prévenu, pas «une fausse paix fondée sur un compromis imposé par l’agresseur».

Un comité d’accueil de la diaspora

Avant l’annonce de vendredi,le Canada s’était déjà engagé à verser plus de 8,9 milliards $ en aide à l’Ukraine, notamment 5,0 milliards $ en soutien financier direct et 1,8 milliard $ en aide militaire. Le pays a aussi accueilli 175 000 Ukrainiens depuis le début de la guerre.

À l’extérieur du parlement, des membres de la diaspora faisaient d’ailleurs flotter des drapeaux ukrainiens et scandaient des «Slava Ukraini!».

«Je suis heureuse parce que je vois beaucoup de soutien des Canadiens», a témoigné Aleksandra Kohut, une étudiante universitaire qui a fui la guerre pour arriver en sol canadien il y aura un an samedi.

Et alors que le cortège du président Zelensky venait de faire son arrivée sur la colline parlementaire, une autre jeune réfugiée arrivée au pays durant la guerre, Anastasiia But, a raconté se sentir «très fière».

Le Canada abrite la deuxième plus importante diaspora ukrainienne au monde après la Russie. Pas moins de 1,4 million de Canadiens ont déclaré avoir des origines ukrainiennes, soit près de 4 % de la population.

Mais il n’y avait pas que des ressortissants ukrainiens dans ce comité d’accueil. Irena Dhillon, une résidante de la ville ontarienne de Kitchener originaire de la Lituanie, en faisait partie. «Vous savez, il se bat pour nous tous», a-t-elle dit. Son conjoint, qui l’accompagnait avec leurs deux jeunes enfants, avait un voyage d’affaires à Ottawa coïncidant avec la visite du président ukrainien, ce que la petite famille a vu comme un heureux hasard.

En mars 2022, M. Zelensky s’était aussi adressé aux parlementaires canadiens, mais l’allocution en Chambre s’était déroulée de façon virtuelle.

Avant la guerre en Ukraine, il avait effectué une visite officielle au Canada, en juillet 2019, mais il était alors un dirigeant relativement peu connu. 

Le président ukrainien venait de remporter une victoire électorale et se concentrait aux efforts de son pays pour opérer des réformes démocratiques et s’intégrer à l’Europe. Les choses ont bien changé depuis alors que toute son action se concentre sur la survie de son pays.

– Avec des informations de Dylan Robertson et Sarah Ritchie