Hécatombe dans les CHSLD: Géhane Kamel estime qu’il faut pousser l’analyse plus loin

MONTRÉAL — «L’histoire retiendra malheureusement qu’au Québec, ce sont les aînés hébergés qui ont payé le plus lourd tribut lors de la première vague de la COVID.»

C’est ainsi que la coroner Géhane Kamel a présenté, jeudi, son rapport sur l’hécatombe survenue dans les CHSLD lors de la première vague de COVID.

Me Kamel n’a pu passer à côté du fait que les aînés les plus vulnérables «ont été dans l’angle mort de nos gouvernements. Je me permets cette affirmation puisque, selon moi, ils sont aussi dans l’angle mort de la société».

«Un autre tour de roue»

La coroner Kamel estime par ailleurs que son rapport ne suffit pas à comprendre l’ensemble de ce qui a pu se produire et qu’il faut poursuivre l’analyse. De quelle manière? Elle a refusé de s’avancer, estimant que cela ne fait pas partie de son mandat, mais ses propos laissent croire qu’elle n’était pas fermée à l’idée d’une commission d’enquête. 

«Si j’étais convaincue et que j’avais eu le pouvoir, surtout, de recommander une commission d’enquête, je l’aurais fait. Mais c’est complètement hors de mon mandat de recommander une commission d’enquête. Mais si dans les pouvoirs du coroner, j’avais pu recommander ça, est-ce que je l’aurais fait? Je ne le sais pas.»

Me Kamel a toutefoisrépété à plusieurs reprises qu’il faudra «un autre tour de roue» pour aller au fond des choses. 

Tout le monde a failli

Déjà, cependant, il est clair selon elle que toutes les instances ont failli à protéger les personnes hébergées dans les sept CHSLD sur lesquels son enquête s’est penchée.

Le cas du CHSLD Herron en est, selon elle, l’illustration parfaite, alors que tant les propriétaires de l’établissement, que le CIUSSS de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) se sont déchargés de leur responsabilité, se renvoyant la balle pendant que les résidants mouraient.

«La COVID a pris d’assaut des milieux d’hébergement fragilisés», a-t-elle fait valoir, notant que «le manque d’équipement de protection individuelle, le manque de communications fluides, la hiérarchisation des décisions et les plans d’urgence déployés à échelle variable ont tous été des facteurs aggravants à cette crise».

En plus, a-t-elle ajouté, ces institutions ont privé leurs résidants de leur dignité et d’une aide de leurs proches qui aurait pu faire la différence.

«La décision de retirer les proches aidants a occulté cette dignité et a infantilisé ces familles.

«J’espère qu’à travers ce rapport-là, on aura rendu un peu de dignité à ces personnes-là», a-t-elle souhaité.

La coroner ne veut surtout pas voir son rapport aboutir sur les tablettes et s’attend à une réponse vigoureuse du gouvernement, mais veut voir l’impact de ses constats s’étendre bien au-delà des pouvoirs publics.

«Je souhaite ardemment que mes travaux participent non seulement à une meilleure protection des personnes âgées ou vulnérables hébergées, mais aussi à un éveil collectif sur la place des aînés dans notre société.» 

Un travail difficile

Sur un plan plus personnel, Me Kamel a reconnu que l’exercice avait été difficile, pour ne pas dire pénible par moments.

«On est passé par toute la gamme des émotions», a-t-elle confié, évoquant la peine, la colère ou le réconfort dans les échanges avec les familles éplorées.

Et il y a aussi eu l’incrédulité. «Chaque fois qu’on commençait un nouveau CHSLD, on se disait: ce n’est pas croyable ce qu’on entend.»

Géhane Kamel reconnaît qu’elle n’a pas été tendre envers certains acteurs de cette tragédie, même si ce n’était pas son objectif au départ.

«Je ne recherche pas à blâmer des gens. Ce n’est pas mon objectif et ce n’est pas notre « job ». Par la bande on a écorché des gens parce qu’on est revenus sur du factuel en nommant des situations qui devaient être nommées. Mais ultimement, ce rapport doit servir pour que ça ne se reproduise plus jamais.»