Bay du Nord: Équiterre et le Sierra Club poursuivent Steven Guilbeault

MONTRÉAL — Équiterre et la Fondation Sierra Club Canada ont annoncé qu’ils poursuiventle ministre fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Steven Guilbeault, en raison de l’approbation du projet pétrolier Bay du Nord au large des côtes de Terre-Neuve-et-Labrador.

Ecojustice a déposé la poursuite au nom des deux organisations environnementales à la Cour fédérale le 6 mai.

Les demandeurs font valoir que l’approbation du projet «va à l’encontre des obligations internationales du Canada et de l’appel pressant à réduire les émissions mondiales, alors que la réalité de l’urgence climatique devient de plus en plus alarmante à chaque événement météorologique grave».

Dans un communiqué diffusé mercredi matin, les écologistes rappellent que le ministre de l’Environnement et membre fondateur d’Équiterre a approuvé le projet Bay du Nord quelques jours après la publication du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et que le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a qualifié de «folie morale et économique» les nouveaux investissements dans le secteur des énergies fossiles.

Le projet Bay du Nord, de la multinationale norvégienne Equinor en collaboration avec la compagnie canadienne Husky Energy, prévoit exploiter un gisement de pétrole en eau profonde, une première au pays. Alors qu’Equinor pensait au départ pouvoir extraire 300 millions de barils, ce nombre a plus que triplé dans les estimations plus récentes.

Équiterre et la Fondation Sierra Club Canada dénoncent notamment «les émissions massives en aval que le projet générera» même si le ministre a fait valoir que Bay du Nord devra respecter 137 conditions,  dont une selon laquelle le projet devra être à zéro émission de gaz à effet de serre d’ici 2050.

«La rhétorique de l’industrie et des gouvernements selon laquelle on saurait produire du « pétrole propre » omet que le processus d’extraction du pétrole ne représente que 10 % des émissions d’un projet pétrolier. En fait, les 90 % restants proviennent de la combustion du pétrole», peut-on lire dans le communiqué publié par les demandeurs.

Les deux groupes écologistes soulignent que «sur 30 ans, entre 300 millions et 1 milliard de barils pourraient être produits à la plateforme flottante au cours de sa durée de vie», ce qui équivaudrait à «des émissions de GES de 7 à 10 millions d’autos de plus sur nos routes par an».

«Nous ne pouvons pas ignorer les émissions en aval lorsque nous évaluons des projets comme celui de Bay du Nord. Les projets que nous générons au Canada ont un impact mondial et nous devons cesser d’exporter nos émissions et la crise climatique à l’étranger pour que d’autres s’en occupent tout en continuant à faire des profits chez nous», a indiqué James Gunvaldsen Klaassen, avocat d’Ecojustice.

Colleen Thorpe, directrice générale d’Équiterre, a mentionné que la décision d’Ottawa «fait fi des avertissements des scientifiques et ne cadre ni avec nos obligations domestiques et internationales ni avec notre devoir moral vis-à-vis les générations présentes et futures».

Les «conditions les plus strictes», selon le ministère

Dans une déclaration transmise à La Presse Canadienne, le ministère d’Environnement et Changement climatique Canada a fait valoir qu’il avait accepté «l’évaluation environnementale réalisée par l’Agence d’évaluation d’impacts, qui a mené un processus rigoureux, robuste et transparent qui a duré près de 4 ans» et que «l’approbation de ce projet comprend les conditions environnementales les plus strictes jamais imposées à une entreprise».

Le bureau de Steven Guilbeault a également indiqué que Bay du Nord «s’inscrit dans le cadre de l’ambitieux plan de réduction des émissions de notre gouvernement qui propose un plafonnement des émissions du secteur pétrolier et gazier» et ajouté qu’il ne fera pas d’autre commentaire car l’affaire est devant les tribunaux.

Dans sa déclaration, le ministère a tenu à préciser «que les groupes ne poursuivent pas Steven Guilbeault directement, mais le ministère d’Environnement et Changement climatique Canada».

Une cause difficile à gagner, mais pas impossible

Selon le professeur Géraud De Lassus St-Geniès, spécialiste du droit de l’environnement et des changements climatiques à l’Université Laval, ce type de cause est difficile à gagner.

«Parce qu’on est dans le domaine du droit administratif, on va essayer de faire reconnaître par la Cour fédérale que la décision qui a été prise par le ministre Guilbault est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de ce qu’on appelle les émissions en aval, donc les émissions qui vont être liées à la combustion du pétrole une fois que le pétrole sera extrait et donc c’est quelque chose de difficile à faire reconnaître par les tribunaux, tout simplement parce qu’il y a ce qu’on appelle une déférence à l’égard d’une autorité administrative qui prend une décision.»

Autrement dit, la cour peut considérer que «l’autorité administrative est toujours mieux placée qu’un tribunal pour savoir si elle a pris une bonne décision, si c’était une décision raisonnable», a précisé le professeur St-Geniès.

Il a toutefois ajouté que ce genre de combat n’est pas nécessairement un coup d’épée dans l’eau, soulignant qu’aux États-Unis, un juge fédéral avait rejeté en 2021 les approbations de l’administration Trump pour un grand projet pétrolier prévu sur le versant nord de l’Alaska, sous prétexte que l’examen fédéral comportait des failles et n’incluait pas des mesures d’atténuation pour les ours polaires.

Le spécialiste du droit de l’environnement a indiqué que partout dans le monde des associations environnementales «contestent ce type  d’autorisations et ce que l’on constate, c’est qu’avec le temps, on a quand même beaucoup de jurisprudence qui s’est développée et on a plusieurs affaires dans lesquelles ces autorisations-là ont été annulées».

Projections sur un bâtiment et publicité en Norvège

Équiterre et la Fondation Sierra Club Canada affirment avoir organisé, avec l’aide de groupes locaux, «une projection saisissante» sur le bâtiment où a lieu l’assemblée générale annuelle d’Équinor à Stavanger en Norvège.

«La projection incluait des témoignages de Canadiens opposés au projet Bay du Nord portant ainsi leurs messages à la Norvège sur les risques de Bay du Nord pour l’habitat marin et le climat.»

Les organisations environnementales ont indiqué avoir acheté une publicité dénonciatrice dans le journal norvégien Stavanger Aftenblad, le quotidien de la ville où se tient l’assemblé d’Equinor.

Les informations concernant l’achat de la publicité et la projection sur le bâtiment n’ont pu être confirmées par La Presse Canadienne.