Au tour des délégués des Premières Nations de rencontrer le pape au Vatican, jeudi

ROME — La cheffe de la communauté autochtone de Kukpi7, Rosanne Casimir, assure qu’elle a senti la responsabilité de tout son peuple la traverser de part en part lorsqu’elle a remis au pape François une invitation manuscrite à visiter son territoire.

La découverte par la communauté autochtone Tk’emlups te Secwepemc de potentielles tombes non marquées sur le site d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique, l’année dernière, a choqué un peu partout dans le monde. Plusieurs attendent maintenant un aveu de responsabilité de l’Église catholique, qui administrait plusieurs de ces établissements au nom du gouvernement fédéral.

«Depuis plus de 100 ans, notre peuple fait face aux effets dévastateurs des pensionnats», a déclaré jeudi Mme Casimir.

La cheffe a également offert au pape une plume d’aigle perlée d’orange avec de petites croix. Elle devait permettre de se souvenir de tous ces enfants qui sont allés dans les pensionnats, a-t-elle dit. Qu’«il y a encore beaucoup de vérité à découvrir» et que l’Église doit jouer un rôle dans ce processus.

«C’est notre histoire collective, a-t-elle insisté. C’est notre histoire que nous devons changer, pour [donner de] l’espoir à nos enfants, aux générations futures. Nous devons tous faire partie de cette différence.»

Mme Casimir et d’autres délégués des Premières Nations étaient émus à l’issue de leur rencontre avec le pape au Vatican, jeudi, au son des tambours de membres de la famille et de la communauté, qui les attendaient place Saint-Pierre.

La rencontre avec le pape François devait durer une heure; elle en a duré deux. Les délégués ont déclaré avoir partagé des récits de pensionnats et demandé que la «doctrine de la découverte» de l’Église, utilisée par les colonisateurs, soit annulée et que les terres autochtones soient rendues. 

Une bulle pontificale de 1493 a autorisé des monarques chrétiens à revendiquer des territoires qui n’étaient pas habités par des chrétiens — ces terres «n’appartenaient à personne».

Les délégués ont également demandé que le pape François vienne au Canada présenter les excuses officielles de l’Église pour son rôle dans les pensionnats, et que l’Église offre des réparations pour soutenir la guérison.

C’était la deuxième fois que Phil Fontaine rencontrait un pape et demandait des excuses: il l’avait fait avec Benoît XVI en 2009.

M. Fontaine, ancien chef national de l’Assemblée des Premières Nations, avait alerté l’opinion publique en 1990 sur les abus commis dans les pensionnats, lorsqu’il a parlé de ses propres expériences au pensionnat de Fort Alexander, au Manitoba.

Il est aujourd’hui certain que cette fois, des excuses du pape viendront. De présumées tombes non marquées trouvées sur plusieurs anciens sites de pensionnats «ont secoué le Canada dans sa complaisance» et ont exercé une pression incroyable sur l’Église, a-t-il estimé jeudi à Rome. «Les yeux du monde étaient sur nous ici.»

Pas d’engagement formel

Bien que le pape ne se soit pas engagé à présenter des excuses ni même à faire le voyage au Canada, M. Fontaine rappelle qu’il a été souvent suggéré que le Saint-Père pourrait venir dès cet été. M. Fontaine s’attend à ce que le pape le précise vendredi lors d’une dernière rencontre avec les délégués des Premières Nations, des Métis et des Inuits — les délégués métis et inuits avaient rencontré François lundi.

Pour de nombreux délégués, ces rencontres constituent une partie importante de la guérison.

«Malgré notre chagrin et notre douleur collectifs, il y a de l’espoir pour un changement», a déclaré le chef Gerald Antoine, délégué principal des Premières Nations. «Ce changement apportera dignité, égalité, confiance et une opportunité pour que ce changement se produise.»

Environ 150 000 enfants autochtones ont été forcés de fréquenter des pensionnats. Plus de 60 % de ces établissements fédéraux étaient gérés par des congrégations catholiques.

Certains délégués des Premières Nations ont avoué qu’ils étaient déchirés dans tout ce processus. L’aîné Fred Kelly, qui a servi comme conseiller spirituel et est aussi un survivant des pensionnats, a admis qu’il portait encore beaucoup de ressentiment envers l’Église.

Il se souvient du jour où il est arrivé dans une institution qui était censée être une école. Il s’est fait couper les nattes, on lui a retiré ses vêtements traditionnels et il a été battu pour avoir parlé sa langue. Pendant des années, par la suite, il n’a pu croire en aucun Dieu, a-t-il dit.

Mais dans la salle d’audience avec le pape, il a sorti sa pipe sacrée et l’a pointée dans quatre directions. Puis il a touché la tête, l’épaule, le cœur et l’autre épaule du pape. M. Kelly a dit qu’il a regardé le chef spirituel de cette Église qui lui a fait tant de mal et lui a dit: «Je t’aime».

«C’est une expérience honorable», a déclaré plus tard M. Kelly. L’aîné a dit qu’il pouvait se connecter avec le pape François parce que c’est un être humain avec un cœur et de la compassion.

Les délégués ont aussi présenté au pape une paire de mocassins, une broche perlée et de la documentation. 

Michelle Schenandoah, membre du clan des Loups de la nation Oneida, de la Confédération Haudenosaunee, avait apporté au pape un porte-bébé (tikinagan) très ouvragé. Il représente la famille et le rôle de l’Église dans la rupture des liens essentiels de la vie autochtone, a-t-elle dit, mais le pape ne sera pas autorisé à le conserver. 

Mme Schenandoah a indiqué qu’elle le récupérerait vendredi et le rapporterait dans sa communauté. «Ça symbolise bien que nous ramenons nos enfants à la maison.»