2023, une année risquée pour le gouvernement Legault

QUÉBEC — La prochaine année pourrait être fatidique pour le gouvernement Legault.

Le premier ministre ayant refusé de tenir sa conférence de presse traditionnelle de fin de session à l’Assemblée nationale en décembre, il n’a donc pas été possible de l’entendre livrer son bilan ou encore sa perspective sur la prochaine année.

Mais des choix épineux se dessinent et la pression pourrait bien augmenter sur son gouvernement, après quatre années au pouvoir et maintenant un risque de récession.

Est-ce que sa cote de popularité va tenir le coup comme un téflon auquel rien ne colle ou est-ce que l’usure du pouvoir va se faire ressentir?

Comme l’a déclaré le premier ministre dans son discours inaugural en novembre: «Dans toute ma carrière, j’ai toujours insisté sur les résultats. S’il y avait un mot sur lequel je voudrais qu’on insiste aujourd’hui, c’est ‘résultats’. (…) On doit tous travailler ensemble à obtenir des résultats concrets en se mettant en mode solution.»

Le chef intérimaire de l’opposition officielle, Marc Tanguay, n’a alors pas mis de temps à reprendre le slogan électoral de la CAQ, «continuons», en ajoutant avec ironie: «continuons de ne pas avoir de résultats.»

Car le prétexte ou l’excuse de la lutte à la pandémie de COVID-19 ne tient plus maintenant.

Le ministre de la Santé, Christian Dubé, qui a formulé et prôné sur toutes les tribunes la réforme du réseau de la santé, doit rapidement solutionner la crise perpétuelle dans laquelle il est plongé.

Même à son zénith, un gouvernement ne peut jouir éternellement de la patience et de l’indulgence des électeurs.

Depuis la fin des années 1990, les gouvernements successifs ont promis aux Québécois des améliorations.

La mission de la santé et des services sociaux siphonnera presque 56 milliards $ en 2022-2023, sur le budget total de 135 milliards $ du Québec et il est loin d’être certain que le gouvernement Legault récoltera les milliards de dollars supplémentaires qu’il réclame au fédéral pour financer ce secteur.

Or les urgences débordent toujours autant, le personnel est à bout de souffle, les besoins sont tout aussi criants. Il suffit d’observer la situation catastrophique dans les hôpitaux au cours des derniers mois pour s’en convaincre.

«Ce n’est pas encore parfait, mais au moins on réussit à donner un minimum de service», a résumé début décembre M. Dubé en entrevue télévisée.

II souhaite implanter partout un guichet unique pour le million de Québécois qui n’ont toujours pas accès à un médecin de famille, même si c’était pourtant un engagement de la CAQ.

Aussi, le ministre veut mettre fin une bonne fois pour toutes au temps supplémentaire obligatoire (TSO) imposé aux infirmières et si décrié.

Québec souhaite aussi élargir les pouvoirs des infirmières praticiennes spécialisées, des pharmaciens et des techniciens ambulanciers paramédicaux.

Cependant, les négociations en cours dans le secteur public pourraient nuire aux ambitions de Christian Dubé, tant le fossé habituel qui sépare les propositions du gouvernement des demandes syndicales est béant.

Homme de confiance de François Legault, Christian Dubé a bâti au fil des années une image de gestionnaire modèle, avec son ton rassurant, mais elle sera mise à l’épreuve.

Après bientôt trois ans à la barre du ministère, l’heure de vérité va sonner en 2023: saura-t-il faire virer le paquebot du réseau de la santé là où tant d’autres ont échoué? Ou comme Napoléon franchira-t-il le Niémen sans en revenir indemne?

Récession et inflation

D’autres écueils se profilent sur le front économique et le gouvernement caquiste devra manoeuvrer prudemment dans ces détroits pour éviter d’échouer.

«Les perspectives économiques se sont détériorées», avait admis le ministre des Finances Eric Girard lors de la dernière mise à jour économique en décembre.

«Nous traversons une période de forte incertitude» et les probabilités d’une récession cette année sont de 50 %, avait-il poursuivi.

Même si l’inflation a décéléré, la perte de pouvoir d’achat des ménages et la grogne qu’elle suscite pourraient écorcher l’image du gouvernement.

Il devra d’ailleurs négocier un passage délicat dès la fin du mois de janvier, le 31, avec le début des consultations sur le projet de loi 2, concernant le plafonnement de la hausse des tarifs d’électricité à 3 %.

Les entreprises s’insurgent parce qu’elles ne seront pas protégées par ce plafond et dans leur cas, la facture augmentera de 6,4 % au 1er avril 2023, et de 4,2 % pour les grandes entreprises.

La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante est déjà montée au créneau et participera aux audiences.

L’organisme Option consommateurs prévoit déjà que les entreprises refileront ces hausses à leurs clients.

Rappelons que le gouvernement a été forcé de rafistoler cette solution: dans son empressement à abolir le contrôle de la Régie de l’énergie sur les tarifs, il a toujours plaidé qu’une hausse calquée sur l’indice des prix à la consommation serait moins élevée que celles fixées par la Régie… jusqu’à ce que l’inflation explose au sortir de la pandémie.

Ajoutons qu’il fait aussi miroiter son engagement de réduire les impôts de 1 % pour les deux premiers paliers d’imposition en 2023.

Dette et Fonds des générations

Eric Girard a par ailleurs suggéré qu’il veut entreprendre un nouveau chantier, évoqué sporadiquement au cours des dernières années: la révision de la loi sur la réduction de la dette et sur le Fonds des générations.

Car le gouvernement a atteint ses objectifs plus rapidement que prévu en partie grâce à l’inflation. La cible inscrite dans la loi était une dette brute qui correspond à 45 % du Produit intérieur brut (PIB). Or, on devrait atteindre 40,4 %.

D’ailleurs le Trésor public a pu profiter de l’inflation, en engrangeant 14 milliards $ en revenus fiscaux supplémentaires dans son cadre financier, a indiqué Eric Girard.

Mais «l’esprit de la loi» n’est pas encore atteint, a plaidé le ministre, comme pour maintenir la pression sur les finances publiques et limiter l’accroissement des dépenses ainsi que de l’endettement.

«L’esprit» était le souhait fait en 2006 de viser le ratio de la dette nette moyenne des provinces canadiennes, et non la dette brute — c’est-à-dire un ratio dette nette/ PIB de 31 %, alors que le Québec se situe encore à 38 %.

On est encore loin du compte si le Québec réduit l’écart à raison de 0,5 % par an comme l’a laissé entendre M. Girard.

En outre, le gouvernement Legault a télégraphié qu’il songe à réduire ses versements au Fonds des générations. Cet outil alimenté par des redevances, dividendes, revenus miniers, contributions d’Hydro-Québec et intérêts sert précisément à réduire la dette. Cela pourrait donc ralentir le remboursement de la dette.

Les «revenus consacrés» versés annuellement au Fonds atteindront 5,2 milliards $ en 2027, mais le ministre a laissé entendre que les versements au Fonds pourraient être plafonnés à 3 milliards $ — commode, puisque les 2 autres milliards $ seraient à la disposition du gouvernement, même si cela freine l’atteinte de l’objectif de réduction de la dette.

Des consultations devraient donc selon toute vraisemblance être entreprises pour convenir de nouvelles cibles de réduction de la dette et débattre du Fonds des générations.

Dans un contexte où des réinvestissements massifs sont demandés dans les services publics, qu’est-ce que la «gestion responsable des finances publiques» dont se réclame si souvent le gouvernement caquiste? Réponse à venir.