Ukraine: la guerre continue, les discussions aussi

KYIV, Ukraine — Les forces russes ont détruit un théâtre à Marioupol où des centaines de personnes s’abritaient etont continué leurs bombardementssur d’autres villes mercredi, d’après les autorités ukrainiennes. Pendant ce temps, les deux parties faisaient preuve d’optimisme quant aux efforts pour négocier la fin des combats.

Il n’y a eu aucun détail immédiat relativement aux morts ou blessés dans ce que le conseil municipal de Marioupol a décrit comme une frappe aérienne sur le théâtre.

Les habitants de Kyiv se sont entassés dans des maisons et des abris au milieu d’un couvre-feu à l’échelle de la ville qui s’étend jusqu’à jeudi matin, alors que la Russie faisait pleuvoir des obus sur des zones à l’intérieur et autour de la ville, y compris un quartier résidentiel à 2,5 kilomètres du palais présidentiel. 

Un immeuble de 12 étages dans le centre de Kyiv a pris feu après avoir été touché par des éclats d’obus.

À Tchernihiv, ville située dans le nord du pays, 10 personnes ont été tuées alors qu’elles faisaient la queue pour du pain, a indiqué le bureau du procureur général ukrainien.

La pression internationale contre Moscou s’est accrue et son isolement s’est accentué lorsque la Cour internationale de justice a ordonné à la Russie de cesser d’attaquer l’Ukraine, même s’il y avait peu d’espoir qu’elle se conformerait. De plus, le Conseil de l’Europe, le principal organe des droits de l’homme du continent composé de 47 nations, a expulsé la Russie.

Alors que l’avancée terrestre de Moscou sur la capitale ukrainienne semblait grandement freinée, le président russe Vladimir Poutine a affirmé que l’opération se déroulait «avec succès, en stricte conformité avec les plans préapprouvés». 

Il a dénoncé les sanctions contre Moscou et a accusé l’Occident d’essayer de «nous presser, de nous mettre de la pression, de faire de nous un pays faible et dépendant».

Poursuite des pourparlers

Une autre série de pourparlers entre les deux parties était prévue mercredi. Après les négociations de mardi, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergeï Lavrov, a déclaré qu’un statut militaire neutre pour l’Ukraine était «sérieusement envisagé» par les deux parties. 

Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a pour sa part décrit les demandes de la Russie pour mettre fin à la guerre comme devenant «plus réalistes».

Les espoirs de progrès diplomatiques ont augmenté après que M. Zelensky a déclaré mardi que l’Ukraine devait réaliser qu’elle ne pourrait pas rejoindre l’OTAN, sa reconnaissance la plus explicite que l’objectif, inscrit dans la Constitution ukrainienne, était peu susceptible d’être atteint.

Le président Poutine a longtemps décrit les aspirations de l’Ukraine à joindre l’OTAN comme une menace pour la Russie, ce que l’alliance militaire occidentale nie.

M. Lavrov a salué le commentaire de M. Zelensky et déclaré que «l’esprit rationnel» qui commence à faire surface dans les pourparlers «donne l’espoir que nous pouvons nous entendre sur cette question».

«Un statut de neutralité est sérieusement discuté dans le cadre des garanties de sécurité, a déclaré M. Lavrov sur la chaîne russe RBK TV, mercredi. Il existe des formulations concrètes qui, à mon avis, sont sur le point d’être convenues.»

Le négociateur en chef de la Russie, Vladimir Medinsky, a ajouté que les parties discutaient d’une éventuelle idée de compromis pour une future Ukraine avec une armée plus petite et non alignée.

Les perspectives d’une percée diplomatique étaient cependant très incertaines, avec un gouffre entre l’exigence de l’Ukraine que les forces d’invasion se retirent complètement et l’objectif de guerre présumé de la Russie consistant de remplacer le gouvernement tourné vers l’ouest de Kyiv par un leadership pro-Moscou.

Le conseiller présidentiel ukrainien Mykhailo Podolyak a nié les affirmations russes selon lesquelles l’Ukraine était disposée à adopter un modèle de neutralité comparable à celui de la Suède ou de l’Autriche. Il a précisé sur Telegram que l’Ukraine avait besoin d’alliés puissants et de «garanties de sécurité clairement définies».

D’autres sources de différend aussi entre les deux parties: le statut de la Crimée, péninsule au sud de l’Ukraine prise et annexée par la Russie en 2014, et la région séparatiste du Donbass dans l’est du pays, que Moscou reconnaît comme indépendante. L’Ukraine considère ces deux régions comme faisant partie de son territoire.

La crise humanitaire s’aggrave

L’ONU affirme que le nombre de personnes fuyant l’Ukraine au milieu des combats les plus violents en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale a dépassé les trois millions. Elle rapporte que plus de 700 civils ont été tués et 1143 personnes ont été blessées, mais reconnaît que ces chiffres sont probablement sous-estimés.

Le chef du Comité international de la Croix-Rouge, Peter Maurer, est arrivé en Ukraine pour tenter d’obtenir un meilleur accès pour les groupes d’aide et une protection accrue des civils.

Au milieu de la vaste crise humanitaire provoquée par la guerre, la Croix-Rouge a aidé à évacuer les civils des zones assiégées et a livré 200 tonnes d’aide, incluant des fournitures médicales, des couvertures, de l’eau et plus de 5200 sacs mortuaires pour aider à «s’assurer que les morts soient traités d’une manière digne.»

Des boucliers humains

Marioupol, une ville portuaire stratégique de 430 000 habitants sur la mer d’Azov, est nul doute celle qui a la plus soufferte. La ville a été encerclée par les troupes russes pendant deux semaines et a subi de violents bombardements qui, selon les autorités locales, ont tué plus de 2300 personnes et laissé les habitants se débattre pour la nourriture, l’eau, le chauffage et les médicaments.

Les autorités locales ont mentionné que les forces russes avaient pris des centaines de personnes en otage dans un hôpital de Marioupol et que les Russes les utilisaient comme boucliers humains. 

Des corps ont été enterrés dans des tranchées à Marioupol, et d’autres cadavres gisaient dans les rues et dans le sous-sol d’un hôpital.

À l’aide de la lampe de poche de son téléphone cellulaire pour éclairer le sous-sol, le Dr Valeriy Drengar a retiré une couverture pour montrer le corps d’un bébé de 22 jours. D’autres corps enveloppés semblaient également être des enfants, compte tenu de leur taille.

«Ce sont les gens que nous n’avons pas pu sauver», a témoigné le Dr Drengar.

Des médecins d’autres hôpitaux de Marioupol ont réalisé une vidéo pour raconter au monde les horreurs qu’ils ont vues. «Nous ne voulons pas être des héros et des martyrs à titre posthume», a déclaré une femme. Elle a également dit qu’il était insuffisant de référer aux patients traités comme des blessés : «Ce sont des bras et des jambes arrachés, des yeux arrachés, des corps déchirés en fragments, des entrailles qui tombent.»

Près de 30 000 personnes ont réussi à s’échapper de Marioupol, mardi, dans des milliers de véhicules empruntant un couloir humanitaire, selon des responsables de la Ville.

Cependant, l’aide humanitaire étant incapable d’arriver au milieu des bombardements constants, les gens brûlent des bouts de meubles pour se réchauffer les mains et cuisiner le peu de nourriture encore disponible.

Intensification des combats

Le chef régional de Kyiv, Oleksiy Kuleba, a indiqué que les forces russes avaient intensifié les combats dans la banlieue de la capitale, notamment autour de la ville de Bucha au nord-ouest et d’une autoroute menant à l’ouest.

Dans toute la région de la capitale, «les maternelles, les musées, les églises, les blocs résidentiels et les infrastructures d’ingénierie souffrent des tirs sans fin», a déclaré M. Kuleba.

Il a ajouté que les troupes russes tentaient de couper les liaisons de transport vers la capitale et de détruire les capacités logistiques tout en planifiant une attaque de grande envergure pour s’emparer de la capitale.

Selon les évaluations des services de renseignement britanniques et américains, les forces terrestres russes restaient à environ 15 kilomètres du centre de Kyiv.

Les forces russes ont réussi à occuper la ville d’Ivankiv, à 80 kilomètres au nord de Kyiv, et à contrôler la région environnante à la frontière avec la Biélorussie, a déclaré M. Kuleba.

Par ailleurs, le maire de la Ville de Melitopol, qui a été prise par les forces russes il y a cinq jours, a été libéré, a annoncé le chef de cabinet du président Zelensky, Andriy Yermak. Aucun détail n’a été donné sur sa libération.

L’Ukraine semble connaître certains succès. Des photos satellitaires de Planet Labs PBC analysées par l’Associated Press montrent des hélicoptères et des véhicules en feu à l’aéroport international et à la base aérienne de Kherson détenus par la Russie, après une frappe ukrainienne présumée mardi.

Le bureau de M. Zelensky a aussi déclaré que les forces ukrainiennes ont contrecarré les efforts russes pour entrer à Kharkiv, la deuxième plus grande ville d’Ukraine, qui a été pilonnée par des frappes presque ininterrompues au cours des dernières 24 heures. Une puissante explosion a tonné à travers la ville pendant la nuit.

Alors que l’Occident tentait de renforcer les défenses de l’Ukraine tout en accentuant les sanctions contre la Russie, les ministres de la Défense des pays membres de l’OTAN se sont réunis à Bruxelles mercredi avant un sommet d’urgence de l’alliance militaire la semaine prochaine.

Pendant ce temps, les premiers ministres polonais, tchèque et slovène sont rentrés mercredi en Pologne après une visite risquée à Kyiv destinée à montrer leur soutien à l’Ukraine.