Un artiste issu de la tradition des grands parleurs

CULTURE. Son œuvre ne fait pas encore l’objet d’un cours à l’université, mais ­Fred ­Pellerin peut quand même s’enorgueillir d’être le sujet d’un livre écrit par deux chercheuses universitaires.

L’ethnologue ­Martine ­Roberge et la chargée de cours ­Catherine ­Lemay ont publié il y a quelques mois l’ouvrage ­Fred ­Pellerin, un artiste entre conte et humour aux ­Presses de l’Université ­Laval. Pour étudier leur sujet et découvrir les ingrédients de la recette pellerinesque, les deux auteures se sont concentrées sur les cinq spectacles de l’artiste présentés entre 2001 et 2013 : ­Dans mon village, il y a belle lurette, ­Il faut prendre le taureau par les contes !, ­Comme une odeur de muscles, L’Arracheuse de temps et ­De peigne et de misère, ainsi que sur les livres y étaient associés.

«  ­Entre le premier livre et le cinquième, on voit vraiment une évolution. Essayer de trouver des éléments ou des tendances qui se répétaient d’un ouvrage à l’autre, d’un spectacle à l’autre, c’était difficile à cerner parce que c’est un artiste complexe qui évolue aussi  », explique ­Martine ­Roberge qui avait écrit et livré le mot de présentation lorsque ­Fred ­Pellerin avait reçu un doctorat honorifique de l’Université ­Laval en 2014.

«  ­Fred ­Pellerin utilise un langage vernaculaire truffé de déformations et de distorsions. Produit volontairement des erreurs grammaticales, il invente des mots. Il s’amuse avec la langue. On le voit beaucoup à la fois dans ses spectacles, que dans les livres à l’écrit. Ce sont vraiment des éléments de la recette qui ressortent beaucoup. La connivence ludique qu’il cherche à établir avec son public aussi  », ajoute pour sa part ­Catherine ­Lemay.

Se disant privilégiée comme ethnologue de pouvoir étudier un créateur comme ­Fred ­Pellerin qui est encore en plein déploiement de son œuvre, ­Martine ­Roberge le qualifie de virtuose du langage sans vraiment de comparable, sinon une certaine parenté avec le personnage de ­Sol ou l’humoriste ­Boukar ­Diouf. «  ­Il est vraiment unique. Il s’adresse à plein d’autres publics francophones, en ­France et en ­Suisse entre autres, à tous les publics de tous âges, sans changer ­lui-même sa propre façon d’être. Il ne s’adapte pas  », ­mentionne-t-elle.

Catherine ­Lemay note que le conteur de ­Saint-Élie-­de-Caxton crée un mélange qui est très intéressant et unique. «  ­On voit qu’il est issu de la tradition orale, de cette tradition des grands parleurs, des grands jaseurs qui les appellent des fois. Mais il a greffé à ça des stratégies des humoristes du ­stand-up, par exemple.  »

Toutes les histoires de ­Fred ­Pellerin font des ­aller-retour entre la réalité et la fiction note ­Martine ­Roberge. «  C’est hybride, c’est entre le conte et la légende. La légende, parce que c’est ancré dans son village, un vrai village qui existe, des personnes, des personnages qui ont déjà existé ou en tout cas qui ont contribué, au fond, à les rendre des légendes.  »

Fred ­Pellerin heureux et surpris

La rédaction du livre ayant commencé en 2019, les deux auteures ont pu voir les deux autres spectacles de ­Fred ­Pellerin : ­Un village en 3D et ­La descente aux affaires. «  ­Il y a encore là une évolution dans la forme écrite, plus particulièrement dans ­Un village en 3D, mais les tendances qu’on a ressorties dans ses cinq premiers spectacles, on peut les percevoir dans les deux autres qui ont suivi, des fois sous des formes différentes. Fred ­Pellerin est toujours constamment dans l’expérimentation. Il essaie des choses nouvelles, il s’amuse avec son produit  », analyse la chargée de cours à l’École de langues de l’Université ­Laval.

Lancé en avril 2024, ­Martine ­Roberge a fait parvenir un exemplaire du livre au talentueux conteur. «  ­Il en est heureux, mais aussi étonné. Il est toujours étonné de voir qu’il peut être un sujet d’études universitaires. On sent chez ­Fred ­Pellerin un véritable plaidoyer pour la langue, la langue parlée, la langue orale. Il y a vraiment une fierté de porter cette ­langue-là par ses histoires  », conclut l’ethnologue.