La marqueterie réinventée de Nancy Bordeleau

ART.  Lorsque la machine à expresso de Bois Café a empli ses premières tasses à l’été 2018, les résidents de Saint-Paulin et des environs ont redécouvert un ancien commerce mythique transformé en charmant endroit, une affable propriétaire, mais surtout, une artiste au talent aussi exceptionnel qu’original.

Dans l’ancienne devanture du magasin Duhaime et fils, Nancy Bordeleau s’est réservé une section pour y  exposer quelques-unes de ses œuvres de marqueterie.  « C’est un art peu connu et pratiqué au Québec et qu’on confond à tort à la parqueterie et à la fabrication de planchers », explique-t-elle, au milieu d’impressionnantes pièces de sa collection.

Sur le Vieux Continent, la marqueterie est un fleuron de l’ébénisterie. Là-bas, cet art est surtout appliqué sur les meubles, d’où la fabrication de mobilier de style Louis XIV, Louis XV ou Napoléon selon les courants en vogue lors des règnes de ces rois ou empereurs.

Voilà plus de 15 ans que la résidente de Saint-Paulin perfectionne son art, tout d’abord à Bécancour puis depuis quelques années dans la MRC de Maskinongé. Elle fait occasionnellement des pièces sur du mobilier, mais la majeure partie de sa production consiste à des créations de grands tableaux mettant souvent à l’avant-plan des visages féminins aux longues chevelures.

« Je suis autodidacte, mais j’ai eu l’opportunité de travailler au début avec un artiste belge qui m’a enseigné quelques techniques traditionnelles », souligne Nancy Bordeleau qui tient son talent pour le bois de son père qui était ébéniste de métier. Rapidement toutefois, l’artiste délaisse la scie à chantourner habituellement utilisée par les marqueteurs pour la découpe au laser.

Comme un casse-tête

Se définissant comme une marquetiste – conjonction des mots marqueterie et artiste – la résidente de Saint-Paulin explique que tout son art consiste à trouver les agencements harmonieux entre les différentes essences, couleurs, textures et veinures de bois. « Je fais d’abord mon dessin à la main. Je le transpose ensuite sur l’ordinateur avant de découper mes formes au laser.  À la fin, je les associe comme un casse-tête avant de les coller sur un support. C’est un procédé en plusieurs étapes », résume-t-elle.

Avec cette table de style Louis XV en érable piqué, Nancy Bordeleau a remporté un prix prestigieux en 2017.

Travaillant avec des placages de bois de 1/32 d’épaisseur, Nancy Bordeleau doit tenir compte de plusieurs facteurs avant de s’attaquer à une œuvre. « On ne découpe pas de la même façon un bois dense et un bois mou. C’est une matière qui réagit aussi beaucoup à la température. Si je fais mes découpes une journée humide, la pièce prendra de l’expansion. Une journée sèche, elle va rétrécir. Puis, certaines essences comme le frêne sont plus sensibles à l’humidité », note-t-elle.

L’expérience entrant, l’artiste a aussi constaté que les bois exotiques, plus colorés que nos bois indigènes, ont tendance à changer de teintes avec le temps. Bois africain, le padouk orangé devient brun; le rouge devient plus marqué avec l’acajou; violet au départ, l’amarante tend à prendre une teinte rouge vin. « Cela a été beaucoup d’essais et d’erreurs. Maintenant, je maîtrise cet aspect et je choisis mes essences de bois dans une perspective de court et long terme », confie la marquetiste.

Dans son atelier aménagé à l’arrière de son café, Nancy Bordeleau est en mesure de réaliser toutes les étapes de ses créations, sauf l’application du vernis qu’elle confie à l’externe. « Je fais appliquer une laque italienne utilisée sur les bateaux de luxe. En plus de protéger l’œuvre, ça donne un aspect très lustré à tel point que les gens pensent que c’est une vitre », sourit l’artiste.

Entre des contrats pour des particuliers et les créations de ses propres œuvres, Nancy Bordeleau travaille depuis quelques mois sur une exposition en collaboration avec les Premières Nations. « La pandémie a quelque peu ralenti l’aboutissement du projet, mais c’est toujours en vie. Mon café me permet de faire de belles rencontres. Des fois, ça me donne des idées, de l’inspiration pour cette exposition. Juste d’échanger avec les gens, ça fait progresser mon projet. Chaque chose en son temps », termine-t-elle avec philosophie.