Une étape difficile à traverser pour les Bellerive

Près de deux ans après avoir perdu ses derniers résidents, la résidence Bellerive de Louiseville est aujourd’hui à vendre, 39 ans après son ouverture. Si les deux dernières années ont été particulièrement émotives pour la propriétaire, Aline Bellerive, elle se dit maintenant prête à tourner la page sur ce chapitre important de sa vie, et espère que sa large bâtisse demeure désormais entre bonnes mains.

L’arrivée de la pandémie de COVID-19 annonçait malencontreusement le début de la fin des opérations de la résidence, implantée sur la rue Josée de Louiseville depuis 1983. Avec l’aide du CIUSSS, Aline Bellerive s’est soumise à toutes les mesures sanitaires et les restrictions prescrites par le gouvernement et la santé publique, dans le but d’assurer le plus grand bien-être et sécurité à ses résidents, espérant, comme le public, qu’il ne s’agissait que de mesures temporaires. Les prochains mois ont pourtant démontré tout le contraire.

Il faut dire que les deux dernières années ont été particulièrement difficiles dans le réseau des résidences privées pour aînés, mais selon le Regroupement québécois des résidences pour aînés (RQRA), la gravité de la situation date d’encore plus longtemps.

Le porte-parole du RQRA, Marc Fortin, indique que des résidences ferment un peu partout au Québec depuis environ cinq ou six ans.  » Depuis 2016 plus de 700 résidences ont fermé leurs portes, alors que dans les sept derniers mois ce sont plus de 65 RPA qui ont fermé. Le problème est tellement grave que le gouvernement du Québec en a fait un chapitre dans le budget de mars 2021 énonçant la précarité de l’industrie et son importance « , explique M. Fortin.

Selon les appels qu’il reçoit sur une base quotidienne, les facteurs qui mènent à ces fermetures varient grandement. Les plus fréquentes selon lui demeurent le niveau de fatigue des exploitants, des difficultés financières importantes, la pénurie de main-d’oeuvre, et la difficulté, voire l’impossibilité pour les propriétaires de trouver un assureur pour leur bâtiment.

À Louiseville, dans la salle à manger du premier étage de leur bâtisse, Aline et son mari Jean-Guy racontent à quel point les premiers moments ont été difficiles émotionnellement, lors du départ des derniers résidents, à la fin mai 2020. « Ils sont presque tous partis la même semaine. Et ç’a été très pénible. Je les avais bien préparés, mais j’avais des cas très lourds, de la déficience, parmi les résidents. Ils ne voulaient pas partir, que je change d’idée, et certains d’entre eux pleuraient. Mais ultimement, on n’a pas eu le choix, » se remémore Mme Bellerive.

« Dans le cas de notre résidence, avant la pandémie, nous avions sept préposées dont plusieurs étaient âgées de plus de 60 ans, explique la propriétaire. Certaines ont dû arrêter à cause de l’interdiction gouvernementale, tandis que d’autres ont dû se retirer de façon préventive. Au final, lors de la fermeture de la résidence, nous étions rendues trois préposées pour satisfaire au besoin de la clientèle. »

Même si ça ne fait pas l’affaire du couple, la grande maison est présentement à vendre, et le processus entraîne une grande insécurité pour eux deux. « C’est le pire temps pour vendre une maison. Je comprends les gens qui ne veulent pas acheter parce que ce n’est pas le temps pour acheter ça. On ne sait vraiment pas ce que le gouvernement du Québec va faire. Va-t-il essayer de fermer les résidences comme celles-ci? On est l’endroit dans le monde avec le plus haut taux de décès par capita, » fait valoir Jean-Guy Bellerive.

Maintenant, la grande crainte pour Aline et Jean-Guy est de voir leur bâtisse être rachetée et démolie pour utiliser le terrain à d’autres fins pratiques. La COVID pourrait bien avoir changé les moyens que prendra le gouvernement provincial pour loger des personnes âgées, et des résidences familiales comme la leur risquent de ne plus exister, à court ou à moyen terme. Ils espèrent de tout cœur que ce n’est pas le sort qui attend leur résidence. Selon M. Bellerive, la proximité de chaque résident dans cet immeuble pourrait être dramatique dans le cas d’une autre pandémie, et le gouvernement risque de revoir son ordre des choses.

Pour Mme Bellerive, l’inconnu que présente les prochaines années est ce qu’elle craint le plus. « M’occuper des personnes âgées me manque beaucoup. Avec le temps, je vais voir ce que je vais faire, » confie-t-elle, le chagrin dans la voix.

À 74 ans au moment que la crise est survenue, Aline Bellerive savait que la fin approchait pour elle et sa résidence, et elle avait commencé à penser à sa retraite. Mais jamais n’avait-elle envisagé une fin aussi rapide et aussi abrupte que celle qu’elle a vécue.

« Malgré tout, nous gardons de très beaux souvenirs de ces 37 belles années ainsi que toutes les personnes qui sont venues demeurer avec nous. Vous avez et conserverez toujours une grande place dans notre cœur, » dit le couple, dans une lettre d’adieu remplie d’amour.