Troquer le mortier pour le poulailler

Alexandre Turner était professeur à l’université lorsqu’il a choisi de changer de carrière. De l’état de New York, aux États-Unis, il est débarqué à Saint-Paulin en 2017 pour prendre la relève de son oncle sur la ferme avicole.

Ceux qui ont croisé sa route savent sans doute que son humour est sa marque de commerce. Pas étonnant qu’il ait choisi de nommer son entreprise Saint-Poulet. Et puisqu’il ne fait rien comme les autres, il a aussi opté pour un mode de production qui est à contre-courant de ce que l’on voit généralement dans l’industrie.

À Saint-Poulet, petite communauté à plumes de 1500 âmes, Alexandre mise sur la santé des animaux. Depuis son arrivée, il a apporté plusieurs changements en ce sens. Entre autres, il a diminué la densité d’élevage.

«Il y a un poulet de moins au mètre carré, précise-t-il. C’est un élevage sans antibiotiques, médicaments et antiparasitaires préventifs. Ce n’est pas bio ni conventionnel. C’est un compromis entre les deux.»

«Quand je suis arrivé ici, en 2017, je revenais des États-Unis où j’avais été professeur d’université pendant huit ans. Je suis passé des hautes sphères du domaine académique au plancher des vaches.»

– Alexandre Turner

Dans cette industrie, la croissance rapide des volailles est synonyme d’un meilleur rendement. Mais à Saint-Poulet, Alexandre a une vision différente des choses. Il opte plutôt pour une croissance lente. Son but n’est pas d’optimiser son rendement, mais bien d’optimiser la vie de l’animal, même si pour cela, il doit sacrifier une partie de son revenu.

«La croissance rapide fait en sorte que l’animal prend du poids très vite, explique-t-il. Mais est-ce que le métabolisme et l’ossature suivent? Je n’en suis pas convaincu. Ces poulets ont des problèmes de mort subite, des problèmes cardiaques, des problèmes de glycémie et des problèmes aux pattes. En élevage conventionnel, ça peut faire des ravages substantiels. Les problèmes de pattes peuvent toucher jusqu’à 10 % de l’élevage.»

«En croissance lente, je suis d’avis qu’on respecte beaucoup plus le rythme de l’animal, ajoute ce dernier. Quand on parle du bien-être animal, on parle tout le temps de son environnement et de sa qualité de vie, mais quand est-ce qu’on parle de son état de santé? On dirait que ce sont deux choses séparées alors que, pour moi, ça va ensemble. Si l’animal est toujours sur un stress de croissance, ça affecte sa santé.»

Une moulée préparée à la ferme

Pour permettre cette croissance lente, Alexandre a changé l’alimentation de ses volailles. Il a développé sa propre recette qui est préparée sur place. «C’est du grain concassé cru. C’est un mélange de petites céréales, indique-t-il. J’ai travaillé avec un nutritionniste animal pour en arriver là. Dans l’élevage conventionnel, les producteurs utilisent le maïs pour une croissance rapide. Ici, je n’en donne pas.»

À Saint-Poulet, Alexandre produit de gros poulets. À terme, le poids visé est 4,5 kilos. «Dans l’élevage conventionnel, le poids du poulet, c’est environ 2,3 kilos, compare-t-il. En élevage conventionnel, pour atteindre 4,5 kilos, ça prend environ 56 jours. Moi, en croissance lente, ça me prend 70 jours.»

Le professeur devenu agriculteur

Alexandre Turner a grandi à Montréal et a fait ses études en linguistique. Enfant, il venait de temps à autre à Saint-Paulin rendre visite à son grand-père qui avait une ferme laitière sur la rue Brodeur.

«Mon expérience agricole se limitait à ça, lance-t-il en riant. Quand je suis arrivé ici, en 2017, je revenais des États-Unis où j’avais été professeur d’université pendant huit ans. Je suis passé des hautes sphères du domaine académique au plancher des vaches.»

«La décision de partir de l’université, je l’ai prise en 2016, poursuit-il. Ça ne me convenait plus de faire de la recherche sous pression. Il a fallu que j’accepte de renoncer aux 15 ans de ma vie que j’ai passés là-dedans. L’opportunité de prendre la relève de mon oncle s’est présentée et c’est comme ça que je suis revenu sur la terre où mon grand-père avait eu des vaches.»

Lui qui n’avait aucun bagage agricole à l’époque a appris sur le tas, en posant des questions et en cumulant les essais et erreurs. Curieux de nature, il s’est beaucoup renseigné. Maintenant, il aime bien à son tour partager son savoir et informer les gens sur son travail auprès des animaux. Comme il le dit si bien, «on a sorti le gars de l’université, mais pas l’université du gars.»