«On va chanter le Canada»

Quelques heures avant de prononcer son célèbre Vivre le Québec libre du balcon de l’Hôtel de ville de Montréal dans la soirée du 24 juillet 1967, le Général de Gaulle avait demandé à la foule venue l’accueillir à Louiseville de chanter avec lui «le Canada»…

Il y aura 50 ans cette semaine, le président français débarquait le 23 juillet dans la Ville de Québec après une traversée de 8 jours sur l’Atlantique à bord d’un navire militaire. Accueilli en grande pompe dans la Vieille Capitale, l’homme de 76 ans prend la route dès le lendemain vers Montréal à bord d’une décapotable en compagnie de son épouse Yvonne et du premier ministre du Québec, Daniel Johnson

Symbole fort, le cortège emprunte le Chemin du Roy avec des arrêts prévus à Donnacona, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Trois-Rivières, Louiseville, Berthierville et Repentigny. C’est en cette fin de  matinée pluvieuse que le célèbre personnage atteint Sainte-Anne-de-la-Pérade. À la grande surprise de ses gardes du corps, le Général de Gaulle se lance dans la foule, prenant un plaisir manifeste à donner les poignées de mains à tout un chacun. À l’initiative du député unioniste de Champlain, Maurice Bellemare, qui accompagne les dignitaires, les gens présents entonnent à l’intention de leur visiteur le Ô Canada.

Le ton est donné pour la suite du voyage.

Direction Trois-Rivières

La délégation reprend la route vers Trois-Rivières où le président français est attendu à midi au Séminaire Saint-Joseph pour un dîner officiel. Autre accroc au programme dû encore là au coloré député Bellemare, le groupe bifurque vers le Cap-de-la-Madeleine pour une courte visite du Sanctuaire de Notre-Dame-du-Cap. C’est finalement vers 12h50 que le célèbre hôte pénètre dans les limites de Trois-Rivières où une foule d’environ 5000 personnes l’attend. Plusieurs des banderoles et écussons accrochés au pont Duplessis le 21 juillet en prévision de l’arrivée du président n’y sont plus à ce moment, volés sans doute par des collectionneurs.

Dans la capitale mondiale du papier, comme on lui explique, le Général de Gaulle prononce un premier discours officiel : «Nous sommes maintenant arrivés à une époque où le Canada français devient maître de lui-même.», déclare-t-il, comme s’il mettait la table à ce qu’il lancerait de façon plus spectaculaire quelques heures plus tard.

Au menu de ce dîner officiel ou sont servis des vins allemand et français: saumon de Gaspé, bison sauce grand veneur, pommes noisette et carottes à l’étuvée; et comme dessert, de la glace tricolore dans le creux d’un cantaloup accompagnée de bleuets du Saguenay. Le comité chargé de l’accueil à Trois-Rivières termine la cérémonie en lui remettant un émail sur cuivre de l’artiste locale Mariette Cheney-Piché.

Direction Louiseville

Il est environ 15h lorsque le cortège de motos et de voitures reprend la route avec comme prochaine destination : le parc du tricentenaire de Louiseville où l’attendent fanfare et chorale. Le Général de Gaulle est ici reçu par une foule en liesse qui lui scande: «Il est en or. Il est en or.»

Dans l’enthousiasme du moment, un individu s’approche tout près du président français pour le photographier. Mal lui en prit puisqu’un membre du service de sécurité le saisit vigoureusement et l’expulse hors de portée du général.

À Louiseville, le septuagénaire commence à montrer des signes de fatigue. Son discours est entrecoupé de plusieurs quintes de toux. Comme il l’a fait à chacune de ses haltes précédentes, le Général de Gaulle conclut son exposé en demandant à la foule d’entonner avec lui La Marseillaise, ce qu’elle acquiesce sans problème.

Alors qu’on croit la cérémonie terminée, sans doute inspirée par l’initiative de Maurice Bellemare dans la matinée, le dignitaire reprend le micro et adresse une demande aux Louisevillois : «On va chanter le Canada»… Selon les images d’archives de l’époque, le président français ne se rappelle visiblement pas des paroles puisqu’il demande aux gens de son entourage de l’entonner avec lui.

Curieuse ironie de l’histoire que cette requête du Général de Gaulle à Louiseville alors que quatre heures plus tard à Montréal, il fera l’histoire avec son célèbre Vivre le Québec libre. Une déclaration dont dira trois jours plus tard le député de Saint-Maurice de l’époque, Jean Chrétien: «M. de Gaulle a quitté le pays hier et, dans une semaine, j’espère que tout le monde aura oublié cet incident.» 

 Source: La traversée du Colbert / De Gaulle au Québec en juillet 1967. Par André Duchesne / Boréal