L’écosystème de l’entrepreneuriat fragilisé

ENTREPRENEURIAT. De vives inquiétudes planent sur le monde entrepreneurial. Plusieurs organismes ont perdu le financement qu’ils obtenaient du gouvernement du Québec : Défi OSEntreprendre, Espace inc., Réseau Mentorat et La Ruche. Est-ce que le gouvernement tente d’équilibrer son budget avec des économies de bouts de chandelles ?
Dans son dernier budget, le gouvernement québécois coupe les deux-tiers du financement accordé au développement de l’entrepreneuriat. Alors que le Plan à l’entrepreneuriat 2022-25 était doté d’une enveloppe de 121,7 M$, celle du Plan PME 2025-28 est réduite à 42,3 M$.
À l’UQTR, le directeur de l’Institut de recherche sur les PME et titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la carrière entrepreneuriale, Étienne St-Jean, ne s’explique pas pourquoi le gouvernement diminue drastiquement les fonds alloués à ces organismes.
“ On a tous été surpris de cette décision-là. Mon collègue Marc Duhamel et moi produisons un rapport sur la situation de l’entrepreneuriat au Québec depuis plus de dix ans et on observe les tendances au Québec depuis que les différentes initiatives de soutien à l’entrepreneuriat ont été mises en place. On a réussi à développer au Québec une culture entrepreneuriale très forte, parmi les plus fortes dans les pays de l’OCDE. ”
Selon M. St-Jean, un des enjeux les plus importants est la pérennité des entreprises et c’est là que les organismes prouvent toute leur pertinence.
“ Par exemple, Défi OSEntreprendre est un de ceux qui aident énormément à maintenir cette culture entrepreneuriale forte. Réseau Mentorat, Espace inc., La Ruche, on est plus dans les projets qui commencent à prendre un peu d’essor mais qui ont besoin d’appui pour assurer une pérennité. C’est là où je trouve que c’est surprenant que le gouvernement décide de couper dans des financements qu’on sait que ça fonctionne. Réseau Mentorat, on le voit, il y a des retombées positives pour les entrepreneurs et pour le moment, il n’y a pas tellement d’autres options. ”
La situation s’annonce difficile pour les organismes concernés. On vient de porter un dur coup à certains, mais d’autres pourraient s’en tirer un peu mieux.
“ Certains organismes vont peut-être réussir à s’organiser, mais avec une ampleur d’impact beaucoup moindre. Déjà, le réseau Mentorat a annoncé des mises à pied. Je crois que Défi OSEntreprendre est un peu moins coincé à court terme, mais va devoir le faire aussi. Espace Inc. devra probablement fermer. Il y en a qui vont peut-être réussir à survivre, d’autres, c’est un peu plus incertain, ça dépend de leurs diverses sources de financement. ”
Plusieurs dirigeants de ces organismes sont en discussion avec le gouvernement pour tenter d’obtenir un financement, même moindre. Le gouvernement pourrait-il reconsidérer sa décision ?
“ Je ne sais pas dans quelle mesure ils n’ont pas lancé une espèce de ballon politique pour voir comment les gens réagiraient et peut-être faire marche arrière sur certains programmes. Ça serait souhaitable qu’ils reviennent sur leur décision, d’autant plus que ce sont vraiment des petits montants dans le budget du Québec pour des programmes qui font la différence pour plusieurs entrepreneurs. On fait juste penser à la venue des équipes de hockey : ça avait coûté plus cher que de maintenir ces programmes-là. Là on parle d’aider des entrepreneurs d’ici qui veulent développer notre économie avec des programmes qui ne coûtent presque rien puis on met la hache là-dedans. Et c’est sans compter les millions investis pour développer une filière batterie dont on n’avait pas une expertise importante et qu’on était, d’un point de vue mondial, pas nécessairement très bien positionné. Ce sont des millions qui ont été investis à grand risque dont plusieurs ont été tout simplement perdus avec des mauvais investissements, dans Northvolt pour ne pas le nommer. Probablement qu’ils veulent réorienter le budget du Québec suivant ces pertes-là, mais selon moi, c’est prendre une mauvaise décision pour régler une mauvaise décision. ”
L’écosystème autour de l’entrepreneuriat pourrait avoir de la difficulté à se relever d’une telle baisse de financement.
“ On va probablement revenir à ce que c’était au début des années 2000. On avait noté à cette époque-là que la culture entrepreneuriale au Québec n’était pas là. Il n’y avait pas suffisamment d’organismes pour aider à faire émerger les entreprises. Tout ce travail-là a été cumulé au fil des ans. On pourrait revenir en arrière sur ces aspects-là, détruire un peu la culture entrepreneuriale qu’on est en train de faire émerger. Bref, ce sont des drôles de décisions. ”
Par ailleurs, le ministère de l’Éducation a annoncé avoir suspendu indéfiniment l’attestation Lancement d’une entreprise.
“ Ce programme était une autre composante importante de cet écosystème-là. Il se termine parce que, paraît-il, il y aurait eu de la malversation de certains organismes. C’est comme jeter le bébé avec l’eau du bain. Il y a des gens qui géraient mal le programme, qui auraient peut-être fait des choses frauduleuses, mais ce n’est pas une raison pour mettre fin au programme. ”
Pour M. St-Jean, il subsiste encore une lueur d’espoir puisque les détails du Plan PME 2025-28 du gouvernement du Québec n’ont pas été dévoilés.
“ Pour le moment on n’a pas une vision très claire du plan en question, on sait juste qu’il y a des coupures annoncées mais qu’il va y avoir autre chose éventuellement. Ce n’est pas très clair, ça reste des mots. Ça sera à suivre. ”